Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/559

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mardochée (deux belles grandes demoiselles) différaient peu de la petite Esther. J’ai sous les yeux la collection des modes de ce temps-là[1]. J’y vois que peu après Esther elles changent tout à coup. Les modes de Ninon et de la Montespan avaient duré jusqu’à l’année du fameux jubilé 1676. Dans la douteuse aurore crépusculaire de Mme de Maintenon, surtout dans les années équivoques qui précèdent le mariage, elle avait adopté une coiffure coquette et dévote, qui cachait et montrait, l’écharpe qu’elle donna aux dames de Saint-Cyr et que toutes imitèrent. Après Esther, l’écharpe est écartée. La face hardiment se révèle. La coiffure est haussée, surexhaussée par différens moyens ; elle semble imiter la mitre ou la tiare persane qu’on avait admirée sur ces têtes angéliques. Tantôt c’est un peigne gigantesque, une tour, une flèche de dentelles, et plus tard un échafaudage de cheveux ; tantôt le bonnet-diadème que prit Mme de Maintenon, le bonnet-casque, ou crête de dragon, dont les audacieuses (Mme la duchesse) décorèrent leur beauté hardie. Ses portraits et ceux de Caylus, les plus jolis du temps, semblent donner la mode. La première gouvernait et menait la seconde. Elle s’était emparée de la trop faible Esther, l’avait associée à ses jeux satiriques et la compromit fort de son équivoque amitié.

Un effet si mondain dans un tel lieu paraît avoir embarrassé Mme de Maintenon. La ville, la plus grande partie de la cour, ne pouvaient assister à pareille fête, et murmuraient sans doute. Elle résolut de les faire taire en faisant jouer la pièce devant le confesseur du roi, devant Bourdaloue et quelques jésuites. On fit même venir, pour imposer à la bourgeoisie médisante, Mme de Miramion, la sainte, la charitable. On joua une autre fois devant Bossuet. On était bien sûr que les saints ne verraient rien que de pieux dans une pièce qui lançait la croisade d’Angleterre.

Qui résistait ? Louvois, le bon sens, la nécessité. Le roi, qui avait mis 100,000 fr. aux costumes d’Esther, en était à envoyer sa vaisselle à la monnaie. À grand’peine on vendait des charges, on pressurait des financiers par une petite terreur. Pouvait-on donner une armée à Jacques quand les nôtres, affaiblies, quittaient le Rhin en brûlant tout et perdaient Cologne et Mayence ? Mme de Maintenon et son ministre Seignelay obtinrent, qu’il aurait au moins une flotte et quelques officiers. Jacques part pour Brest. Là, rien de prêt. Seignelay, qui avait tout promis, n’était pas en mesure. Jacques crie. Enfin tout arrive, mais du ministère de la guerre, et tout arrive par Louvois.

  1. Cette précieuse collection de la Bibliothèque (Bonnard, Arnoult, Saint-Jean, etc.) n’a pas moins de trente volumes in-folio. Les gravures, plus soignées que nos gravures de modes, donnent le costume et sont en même temps des portraits presque toujours ébauchés de personnages connus, des grandes dames du temps, etc.