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formaient. C’est depuis ce moment surtout qu’elle voulut les dompter, briser les humbles et timides résistances qu’elles laissaient voir encore, et réduire la maison à l’absolue dépendance d’un couvent. Supérieure réelle de Saint-Cyr et sa future abbesse (si elle avait perdu le roi), elle pouvait exercer là le plus complet pouvoir qui peut-être fût sur la terre.

Qu’était réellement ce pouvoir des abbesses ? Plusieurs prêchaient ; mais leur grande prétention (on le voit dans sainte Thérèse et ailleurs) était de confesser. Dans nombre d’abbayes, le confesseur n’était qu’un valet principal, et l’abbesse était tout. Ce pouvoir d’homme, elle l’exerçait comme femme dans un détail impitoyable où tout homme aurait épargné les répugnances féminines. La religieuse devait ou mentir devant Dieu, ou faire des aveux humilians, parfois irritans. Si elle éludait ou cachait, ou seulement en était soupçonnée, on la domptait par cent moyens. Au nom de l’obéissance, on pouvait lui imposer tout. Le pouvoir médical, autant que pénitentiaire, était dans les mains de l’abbesse, qui exigeait les saignées canoniques, faisait jeûner, ou, pis encore, mettait sa victime au régime mortel des froids poisons. Elle pouvait sans cause infliger de dures pénitences, flagellations, humiliations publiques, la fatigue cruelle de rester des jours entiers à genoux. On la forçait de dénoncer ses sœurs, de se faire haïr, éviter, sinon de noirs cachots, à rendre folle une femme peureuse, comme celle qu’on faisait coucher dans un vieil ossuaire et sur les os des morts (à Aix, 1610). Même sans employer ces rigueurs corporelles, par la torture morale d’une incessante inquisition, une femme acharnée à réduire une femme pouvait bien la désespérer. Parfois c’était la jalousie qui la poussait, souvent l’orgueil et l’instinct tyrannique ; cette curiosité perverse (la maladie des cloîtres) qui veut savoir et voir de part en part : redoutable exigence, lorsque l’abbesse était un bel esprit, comme celle de Fontevrault, la sœur de Montespan, ou bien un esprit de police, une femme née directeur, comme eût été à Saint-Cyr Mme de Maintenon !

Quelle que fût cette perspective, la Maisonfort céda et se livra. Mme de Maintenon, qui la caressait fort, l’appelait « sa fille, » et se disait de plus en plus « sa mère, » avait rompu pourtant avec les douces doctrines qui un moment les avaient tant liées, et qui seules pouvaient la mener à accepter le sacrifice. Elle ne s’y résigne que pour le quiétisme, pour Fénelon, qu’elle croit garder comme directeur. Elle déclara qu’elle ne ferait de vœux que dans ses mains, ne recevrait le coup que de lui. Elle le reçoit le 1er mars. Dans quel état, grand Dieu ! Elle avoua avec désespoir, avec honte, que son esprit troublé croyait de mois en moins, qu’elle doutait. Un tel mot