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aurait dû arrêter court ces hommes, s’ils eussent eu le respect de Dieu, celui du sacrement. L’homme de bois, Godet, passa outre, et Fénelon n’osa rien objecter. Elle dit ce qu’on voulait ; elle le dit et s’évanouit. Elle se réveilla sous le froid de la mort, et prit cela pour une paix ; mais il y eut bientôt une terrible réaction de la vie et de la nature. Dans tout ce mois de mars 1692, elle passa par d’affreux combats, des mouvemens contraires, tantôt des efforts d’abandon religieux, tantôt des retours de jeunesse, de douloureuse humanité. Ses barbares médecins, par leur affreux remède, avaient fait dans cette personne, née si raisonnable, un volcan. Fénelon avait exécuté ce qu’on voulait de lui ; il s’éloigna. Sa lettre du 7 juin est curieuse. Il est très occupé : il ne renonce pas à l’aller voir de loin en loin ; mais n’a-t-elle pas son supérieur ? Bref, il s’en va. Il l’a amenée là, et il l’y laisse. À qui ? À la personne qu’il n’ose même nommer, le vrai directeur et l’unique, Mme de Maintenon.

L’infortunée tomba dans une grande solitude. Toutes ces faibles femmes se tenaient à l’écart. Elles se sentaient observées, épiées. Ni dames, ni demoiselles n’osaient même penser. Une dame en fit compliment à Mme de Maintenon : « Consolez-vous, madame, nos filles n’ont plus le sens commun. » Elle était loin de se consoler. Elle avait cru tenir cette victime ; mais dans l’état terrible où on l’avait mise, on ne tenait rien du tout : la Maisonfort flottait, battue du plus cruel orage. Une autre eût eu le cœur percé. Mme de Maintenon n’est qu’aigrie, irritée, et c’est à ce moment qu’elle lui écrit ce mot cruel et ironique : « Vous faites consister la piété en mouvemens, abandons, renoncemens ; mais quel est le renoncement de celle qui veut avoir le corps à son aise et l’esprit en liberté. » (31 mars 1692). Flèche aiguë et empoisonnée, basse insulte ! Avoir le corps à l’aise, cela signifie-t-il manger le pain amer qu’elle gagne à Saint-Cyr ? ou bien voudrait-on dire que ce cœur pur, ailé, et qui vola si haut, ne pleure que de laisser les sensuelles joies de la terre ?

On voit ici la vérité de ce que dit la Palatine. Cette femme de calcul, de décence, de convenance, en perdait le sens par momens dans de vrais accès de fureur. Elle se décida à frapper le grand coup. Le 27 août 1692, elle n’alla pas à Saint-Cyr ; mais elle y envoya le roi. Jamais il n’avait désiré que Saint-Cyr fût un monastère, et il avait quelque pitié de ces jeunes dames. Il y alla à regret. Il les fit appeler, et leur dit qu’il voulait qu’elles fussent religieuses. Elles y étaient si tremblantes, si interdites, qu’elles ne purent même pleurer. De vingt-sept qu’elles étaient, une seule osa parler. C’était Mlle La Loubère, qui avait vingt-quatre ans, vierge sage, s’il en fut, qu’on avait faite, pour sa beauté et sa sagesse, supérieure (nominale).