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mais l’homme. Le 1er juillet 1849, au moment où Rome venait de se rendre, au moment où Garibaldi, rassemblant ses volontaires, se disposait à continuer la guerre dans l’Italie centrale, Anita était accourue de Nice auprès de son mari, décidée à le suivre au milieu des hasards. « C’est le soir de ce jour-là, dit M. Gustave d’Hoffstetter, que je vis pour la première fois la compagne si célèbre de Garibaldi. Le général voulut bien me présenter à elle dans le palais Corsini. C’était une femme d’environ vingt-huit ans, avec un teint bronzé, des traits intéressans, et d’une complexion délicate. À première vue cependant, on retrouvait en elle l’amazone. Au souper où m’invita le général, je pus voir combien il avait pour elle de soins empressés et d’attentions exquises. » Hélas ! nul ne se doutait alors que l’intrépide amazone allait expier si tôt son audace ! La retraite de Garibaldi après la prise de Rome est assurément un des drames les plus extraordinaires que présente l’histoire, et pour que nulle émotion n’y manque, le cinquième acte se ferme tragiquement sur la mort d’Anita.

Trois écrivains très diversement inspirés, un Italien et deux Allemands, ont raconté cette incroyable entreprise des corps francs. J’ai déjà nommé M. Gustave d’Hoffstetter ; les deux autres sont M. Oreste Brizi, qui a publié un récit historique assez complet sous ce titre : le Bande garibaldiane a San-Marino[1], et un diplomate allemand bien connu, M. le baron Alfred de Reumont, qui, dans ses Notes pour l’Histoire d’Italie, a donné quelques pages intéressantes intitulées les Garibaldiens à Saint-Marin[2]. M. de Reumont est le plus grave et le plus circonspect des diplomates ; pour contrôler et compléter la narration d’Elpis Melena, c’est au chargé d’affaires prussien que j’emprunte un jugement sur les incroyables événemens du mois de juillet 1849. « L’expédition de Garibaldi à Saint-Marin tient véritablement du miracle. On ferait grand tort à un tel homme en le confondant avec les hommes ordinaires. Qu’on juge comme on voudra ses principes politiques et sa moralité, il a montré un talent rare comme chef de corps francs, et sa conduite à Rome, avant comme pendant le siège, l’a placé dans un jour bien plus favorable qu’on ne pouvait s’y attendre. Il a maintenu la discipline parmi des aventuriers de la pire espèce… Quant à ce qui a suivi la prise de Rome, c’est une série de faits à peine croyables, et qui pourtant sont des faits. Il s’agit ici d’un événement extraordinaire dans l’histoire des guerres modernes, oui, extraordinaire et prodigieux même dans les conditions si étrangement irrégulières qui s’étaient produites

  1. Arezzo, 1850.
  2. Beiträge zur italienischen Geschichte, 6 vol., Berlin 1853-1857. Voyez le troisième volume, page 205.