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débarrassa de son mal. Cette même année 1859, pendant l’automne, Garibaldi, se trouvant à Ravenne et devant y rester quelque temps, fit venir auprès de lui sa fille Teresa ainsi qu’une famille de Nice aux soins de laquelle il l’avait confiée. Invitée par le général à se joindre aux voyageurs, Elpis Melena se garda bien de manquer au rendez-vous, et le récit un peu enthousiaste de cette excursion, intitulé la Pineta dix ans plus tard, est une des intéressantes parties du livre :


« Dix années s’étaient écoulées depuis le jour où Garibaldi, traqué comme une bête fauve, errait aux environs de Ravenne, lorsque je me trouvai sur la route de cette ville, en compagnie de M. et Mme D… (de Nice), de Menotti et de Teresa Garibaldi. On attendait la famiglia del prode general, et le bruit de notre arrivée prochaine semblait nous avoir précédés, car dès l’entrée du faubourg nous vîmes accourir des centaines de curieux, les uns aux portes, les autres aux fenêtres, tous espérant voir au passage la belle Teresa et le jeune Hercule, son frère. Enfin, lorsque les pauvres coursiers de notre vetturino eurent ranimé la dernière étincelle de leur flamme épuisée pour faire une entrée brillante sur la place du palazzo, lorsque la voiture à grand bruit roula sous les arceaux du noble édifice, une foule immense se pressait sur nos pas.

« Le général vint à notre rencontre sur l’escalier, et après un cordial accueil il nous conduisit dans nos chambres. Je me réjouissais de le voir si bien portant. Les traces de sa dernière et cruelle maladie avaient complètement disparu de son noble visage ; la joie de ses victoires récentes, l’aurore des destinées heureuses qu’il semblait pressentir pour son cher pays, répandaient sur ses traits une lumière qui les embellissait encore, et le soldat si rudement éprouvé me semblait rajeuni de dix ans depuis le jour où, quelques mois plus tôt, je l’avais rencontré à Turin.

« Une fois débarrassés de la poussière de la route, on vint nous chercher pour le repas. Pendant que nous traversions une suite de salles richement décorée, le général nous présenta plusieurs des notables de Ravenne et son excellence le marquis Rora, que le gouvernement piémontais avait envoyé de Turin a Ravenne avec le titre d’intendant et de délégué politique. Il n’y avait pas une demi-heure que nous étions à table lorsque les vivat de la foule rassemblée sous les fenêtres éclatèrent avec plus de force que jamais : l’enthousiasme était si grand que le marquis pressait Garibaldi de paraître au balcon pour répondre à l’appel populaire. « Ces cris de joie, disait-il, sortent bien du fond des cœurs. C’est un brave peuple que ces gens des Romagnes ; ils sont incapables de rien feindre, et ce qu’ils expriment, croyez-bien qu’ils le sentent. » Il fallut pourtant que le marquis revînt plus d’un fois à la charge pour vaincre la modestie du général. Enfin il parut au balcon et prononça un de ces discours mâles et concis qui vont tout droit au fond du cœur. On n’entendait pas le plus léger bruit lorsque sa voix harmonieuse et pleine retentit sur la place, et qu’il remercia le peuple de Ravenne pour tous ces témoignages de (sympathie et de dévouement.

«… La nuit était venue ; toute la place étincelait du feu des illuminations ;