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sans pouvoir temporel, ou plutôt sans servitudes terrestres, n’est-ce pas ce que M. de Cavour offrait dernièrement à la cour de Rome ? N’est-ce pas cette conception hardie dont notre collaborateur, M. Eugène Forcade, indiquait avec tant de vigueur les résultats grandioses ? Mais, encore une fois, que de nouveauté dans une telle situation pour des esprits de race latine ! Combien de consciences se troublent, s’alarment, s’imaginent que tout est perdu, lorsqu’il faut rompre sur un point avec la tradition, fût-ce une tradition tout humaine, inconnue et même contraire à l’Évangile !

Quand on songe d’un côté à tant de difficultés épineuses, à tant de douleurs respectables, à tant d’âmes qui se croiront atteintes en ce qu’elles ont de plus cher ; quand on pense, d’autre part, à la cause, si sacrée aussi, d’une grande nation, à ses souffrances séculaires, à ses efforts incessans, à son espérance invincible, à son besoin de vivre qu’on ne peut lui contester, à ce but si longtemps désiré qu’elle va toucher enfin de ses mains victorieuses ; quand on embrasse en un mot les aspects multiples de la question et qu’on essaie de faire justice à tous, on ne comprend pas que le dilettantisme en de telles matières, même le dilettantisme de l’enthousiasme, puisse remplacer l’exercice viril de la raison. Un esprit vraiment libéral craint de se tromper au milieu de ces complications tragiques ; il admire le dévouement du soldat de l’indépendance sans refuser ses sympathies aux douleurs des âmes pieuses ; il se recueille, il médite, il s’élève à l’idée de la Providence gouvernant l’histoire ; il se garde bien d’ailleurs de ne penser qu’au présent, il songe à l’avenir, il songe au lendemain des catastrophes prochaines, il veut savoir si l’humanité en tirera parti pour le bien ou pour le mal. Enfin, pour rappeler l’éloquente parole de Mme de Sévigné sur la révolution d’Angleterre, il se demande avec émotion et curiosité « ce que Dieu voudra représenter après cette tragédie. »


SAINT-RENE TAILLANDIER.