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la quantité d’argile nécessaire pour communiquer à la végétation la grâce, l’ampleur et la force. Rien ne s’épanouit et ne se développe pleinement ; tout est sec, petit ou malingre ; c’est la nature affamée sous son vêtement d’indigence.

Le pays est tout à fait plat et s’élève à peine, dans ses parties les plus hautes, à une cinquantaine de mètres au-dessus du niveau de la mer ; mais il est traversé dans toute sa longueur, depuis la Meuse jusqu’à Anvers, par une file de dunes complètement dénudées dont le sable blanc et fin se meut sous l’action du vent, au point de couvrir souvent les routes et les terres cultivées qui se trouvent dans le voisinage. Dans toutes les dépressions de terrain, les eaux de pluie, retenues par la nature imperméable du sous-sol, forment des marais qui attirent de loin le regard par la fraîche verdure de leurs plantes aquatiques ; mais malheur au voyageur égaré au milieu de ces fondrières, qui en certains endroits, comme au nord de Hasselt, couvrent d’immenses étendues ! Peu à peu, comblé par les détritus végétaux, le marais présente à sa surface l’aspect d’une belle prairie ; le sol paraît ferme, on croit pouvoir s’y avancer sans danger : tout à coup le lacis spongieux des mousses et des racines qui forment le tapis élastique sur lequel on marche se déchire, et on disparaît dans la fange tourbeuse qu’il recouvrait. Partout à peu près où le niveau du terrain permet de dessécher ces marécages, on en extrait de la tourbe. Une société s’est même formée pour mettre à sec une grande partie de l’immense marais de Peel, qui comprend plusieurs milliers d’hectares. Comme il est situé sur un plateau relativement assez élevé, l’opération peut se faire sans trop de difficultés, et, par le canal qui sert à l’écoulement des eaux, on transporte déjà des quantités considérables de combustible.

On conçoit que les vastes bruyères coupées de dunes et de marais dont nous venons d’indiquer les principaux caractères fassent le désespoir de l’agronome qui ne songe qu’à les transformer en champs productifs ; mais elles exercent un grand attrait sur les âmes poétiques, qui aiment l’aspect sauvage et primitif de cette contrée malgré sa tristesse calme et ses monotones solitudes. Elle a fourni plus d’une inspiration heureuse à la littérature nationale, et les lecteurs de la Revue[1] se rappelleront sans doute que c’est dans la Campine qu’un romancier flamand, M. Hendrik Conscience, a placé le théâtre de ses récits simples et touchans, où il a su rendre mieux que personne le caractère particulier de ce pays. Les peintres aussi se plaisent à reproduire sur leurs toiles ces grands horizons mélancoliques,

  1. Voyez le Romancier de la Flandre, par M. Saint-René Taillandier, dans la livraison du 15 mars 1849, et deux nouvelles d’Hendrik Conscience dans les livraisons du 15 janvier et du 15 mars 1851.