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et pourtant jusqu’à présent le succès n’a point tout à fait répondu aux espérances qu’on avait conçues. D’autres sociétés qui avaient en vue non une œuvre de bienfaisance à accomplir, mais une spéculation à faire, n’ont pas été plus heureuses, à en juger du moins par les résultats acquis.

Ces tentatives répétées et les échecs auxquels elles ont abouti ne surprendront pas celui qui a visité la Campine avec quelque attention. Après avoir marché longtemps dans une lande nue et désolée, on. rencontre tout à coup, à l’approche des villages, des champs couverts de moissons magnifiques. À côté du sable aride que cache à peine la bruyère, on voit des seigles pliant sous le poids de l’épi dont le grain gonflé déborde, des pommes de terre à la fane luxuriante et d’un vert tout noir de vigueur, des trèfles aux tiges drues et aux larges feuilles qui couvrent le sol d’un épais manteau de verdure. D’une stérilité à peu près absolue, on passe presque sans transition à une fécondité qui étonne. Le contraste est si frappant que l’on se demande tout d’abord par quel miracle s’est accomplie la transformation ; puis, quand on s’est convaincu que le sol de la lande et celui des champs cultivés sont exactement de même qualité, pour peu qu’on ait le goût des conquêtes agronomiques, on sera tenté d’essayer à son tour d’accomplir ce miracle et de fertiliser la bruyère ; mais qu’il y prenne garde, celui qui n’a pas les connaissances, les ressources et surtout la persistance nécessaires pour dompter la nature rebelle ! La lande engloutira son avoir aussi sûrement que les tourbières engloutissent le voyageur imprudent qui s’y est engagé sans les connaître. Pline dit à ce sujet un mot plein de cette sagesse pratique familière aux Romains : res agrestis insidiosissima cunctanti, rien de plus perfide que l’agriculture pour celui qui s’y livre sans l’énergie qu’elle exige. Quand on récapitule ces insuccès si fréquens et les difficultés que présentent les défrichemens, on voudrait connaître quels sont les procédés qu’emploient les cultivateurs du pays pour réussir là où souvent d’autres échouent. Qu’on nous permette d’entrer dans quelques détails à cet égard.

Parmi les causes spéciales qui expliquent la prospérité et les progrès de l’économie rurale de la Campine, il faut en citer deux qui la distinguent de celle des provinces flamandes : en premier lieu, la combinaison de la culture extensive et de la culture intensive, en second lieu les dispositions particulières de l’étable.

D’après la définition que propose un économiste allemand distingué, M. Roscher, dans un ouvrage publié récemment[1], il faut entendre par culture extensive celle qui relativement applique un petit

  1. Nationalökonomik des Ackerbaues, von Wilhelm Roscher. Stuttgart, 1860.