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Santo-Domingo au milieu d’une consternation et d’une panique que quelques Français fidèles à la mère-patrie et dirigés par l’héroïque mulâtre Chanlatte s’efforcèrent en vain de dominer. Ce fut le 22 février que le représentant du roi d’Espagne, don Joachim Garcia, dernier gouverneur de la colonie, quitta cette terre que la politique de deux grands peuples n’avait pas su défendre contre les ruses d’un vieil Africain. Déjà précédemment une vague appréhension avait fait transférer le siège de l’audience royale à La Havane, et le peuple avait remarqué avec un certain effroi que le jour même où la justice, ce premier attribut de la domination européenne, s’exilait de cette terre, la charpente du vieux palais de Colomb s’écroulait avec fracas[1].

Lors de l’expédition du général Leclerc, en 1803, l’ancienne partie espagnole fut reprise sur Toussaint comme la partie française. Quand survinrent les désastres de cette expédition, dont les débuts avaient été si brillans, l’adjudant-général Ferrand, qui commandait la circonscription du nord, en apprenant la capitulation de Rochambeau dans Port-au-Prince, leva ses postes, encloua ses canons, et, par une marche rapide, se porta sur Santo-Domingo, où il s’enferma, après avoir dépossédé le général Kerverseau, qui y commandait. L’administration du général Ferrand, habile et paternelle, a laissé des souvenirs durables dans l’ancienne possession espagnole, Il eût certainement rallié tous les esprits à la domination française, si les deux nationalités coloniales eussent pu demeurer indifférentes aux grands démêlés qui divisaient leurs métropoles. En 1808, la junte de Séville, qui avait pris la direction du mouvement contre la France, fit signifier au gouverneur de Porto-Rico la déclaration de guerre qu’elle venait de lancer audacieusement à Napoléon, et lui ordonna d’agir en conséquence. L’ardente nationalité du peuple espagnol, sa haine vigoureuse de l’étranger, éclatèrent à Saint-Domingue comme dans les sierras de la Péninsule. L’insurrection, dirigée par un créole de vieille race espagnole, don Juan-Sanchez Ramirez, se répandit promptement. Vaincu par ce chef, au-devant duquel il s’était porté avec une poignée d’hommes, Ferrand se donna la mort, et laissa le commandement au général de brigade Barquier.

Alors commença, sous cet officier obscur et demeuré ignoré, cet héroïque siège de Santo-Domingo, qui serait certainement devenu mémorable s’il avait eu pour théâtre une ville de l’Europe. Bloquée

  1. Les colonies espagnoles du Nouveau-Monde étaient partagées en grandes circonscriptions judiciaires qui constituaient chacune une audiencia. — Le château de Colomb, qui s’élevait à quelques lieues de Santo-Domingo, et dont les murs subsistent encore, était une vigoureuse construction du XVe siècle. le fait que nous venons de mentionner est confirmé par le témoignage de plusieurs écrivains et par le rapport du général Kerverseau au gouvernement français.