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vainement déguisée sous l’apparence d’un acte d’initiative nationale.

Pendant les vingt-deux ans que dura l’administration du général Boyer, la fusion put paraître réelle entre les deux anciennes colonies européennes de Saint-Domingue ; mais elles ne faisaient que dormir de la même léthargie. On en eut la preuve lorsqu’en 1843 éclatèrent dans l’ouest contre le gouvernement présidentiel du successeur de Pétion les premiers mouvemens insurrectionnels qui déterminèrent sa chute. On vit alors en effet les habitans de l’ancienne audience espagnole se mettre en révolution pour leur propre compte sous la direction de l’un des grands propriétaires du pays, le même Pedro Santana qui achève aujourd’hui son œuvre intelligente et patriotique. C’est au cri caractéristique de viva la virgen Maria ! que se levèrent les populations, et c’est dans leur langue reconquise (car elle avait fini par être proscrite) que fut publié le manifeste constitutif de la République-Dominicaine[1]. Il faut lire ce document, longue énumération des violences commises, des spoliations subies, pour apprécier quel fut le caractère de la lutte où l’on ne veut voir aujourd’hui qu’une simple « querelle sur la forme du gouvernement. »

Nous ne retracerons pas l’historique des efforts incessans que firent les successeurs de Boyer pour reconquérir le territoire de l’est. Son éphémère vainqueur, le mulâtre Hérard Rivière, y devait succomber après quelques jours de gouvernement, comme vient d’y succomber l’Africain Soulouque après un véritable règne[2], et malgré l’intelligence et les sentimens de modération du titulaire actuel la concession d’une trêve de cinq ans est tout ce que « les conseils des puissances médiatrices » ont pu obtenir de son gouvernement en faveur de l’état voisin. C’est lui-même qui prend la peine de nous le dire dans sa protestation. Cet antagonisme se dessina comme spontanément dès l’origine, et dès l’origine, ce qu’on ne sait pas généralement, la faible population de l’est dut reconnaître son impuissance à constituer une nationalité véritablement indépendante. Il est d’abord constant qu’aussitôt après la révolution accomplie, des ouvertures furent portées à Cuba, et plus tard jusqu’à Madrid, et nous ne croyons pas nous tromper en avançant que celui que l’on appelle un peu naïvement aujourd’hui le chef du parti français, l’ancien président Baëz, fut, conjointement

  1. L’origine du mot dominicaine est la même que celle de Santo-Domingo. Cette ville, bâtie en 1494, s’appela d’abord Nouvelle-Isabelle ; puis, en mémoire de Dominique Colomb (on espagnol Domingo), père du grand Christophe, elle fut appelée Santo-Domingo, et finit par donner son nom à l’île entière.
  2. Voyez, sur cette période de l’histoire haïtienne, la Revue du 15 novembre 1844, et sur l’invasion de Soulouque dans la République-Dominicaine, les études de M. d’Alaux, Revue du 15 avril et du 1er mai 1851.