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sinon qu’aucun cabinet digne de ce nom n’a jamais admis la légitimité indissoluble du lien créé en 1822 ? Si, pour repousser les ouvertures faites par le cabinet de Madrid en 1830, on a excipé de l’indépendance de fait seulement qui existait depuis huit ans, comment ne comprend-on pas que l’indépendance de droit dont on prétend exciper aujourd’hui crée une situation diamétralement opposée et infiniment plus favorable ? Voilà une province qui a été libre de se donner à vous, qui s’en est ensuite séparée pour s’ériger en état indépendant. Elle s’est maintenue telle pendant dix-huit ans et a fait admettre son autonomie par les autres nations. En vertu de cette autonomie, elle se fond dans un autre état. Qui peut y trouver à redire ? Certes les règles du juste et de l’injuste sont les mêmes pour tous, pour les faibles comme pour les forts ; mais le droit international n’est pas un formulaire de juge de paix : il se compose de principes généraux dont la saine application ne peut se dégager que de la pondération des droits, des intérêts et des convenances du plus grand nombre. À quel esprit impartial fera-t-on jamais accepter cette exagération, que « la prise de possession de l’est par l’Espagne est un fait aussi énorme que si elle eût été effectuée par la France ou par l’Angleterre ? » N’est-ce donc rien que les liens d’une commune origine, que cette filiation qui se maintient peut-être plus vivace et plus marquée dans les populations que chez les individus, héroïque sentimentalité contre laquelle, Dieu merci ! ne prévaudront jamais tout à fait ni les roueries de la politique ni les violences de la conquête ? Vous dites que le fait est aussi énorme venant de l’Espagne que venant de la France ou de l’Angleterre : que les registres d’immatriculation s’ouvrent pour revendiquer la nationalité française ou anglaise, et vous verrez quel sera comparativement le nombre des inscrits !… Le fait auquel nous faisons allusion et les aspirations qu’il révèle seront certainement la vraie réponse de l’Europe en cette affaire, car enfin, il faut bien le dire puisqu’on paraît ne pas en avoir le sentiment à Port-au-Prince, les chancelleries européennes ne peuvent considérer l’unité de la république haïtienne comme indispensable à l’équilibre politique du monde. Toute cette doctrine de la solidarité des intérêts de deux peuples habitant la même île ne saurait sincèrement les toucher, lorsqu’elles n’ont qu’à se reporter vers le passé pour se rappeler que, la possession de la France une fois régularisée par le traité de Ryswick, les deux nationalités espagnole et française ont parfaitement vécu côte à côte sur cette même terre jusqu’aux grandes commotions de 93.

Quant aux chancelleries des deux républiques anglo-américaines, aujourd’hui armées l’une contre l’autre, il n’est que trop clair qu’elles ne peuvent guère envisager les choses ainsi. En effet, d’accord avec les publicistes qui le rappellent à la doctrine de Monroë, le cabinet