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véritable politique du peuple qui a offert au monde le mémorable exemple de l’abolition de l’esclavage africain. Il y a une grande lutte à engager maintenant contre l’esclavage. Dans cette lutte, l’Espagne ne peut-elle être opposée à la nouvelle fédération du sud ? L’Amérique espagnole même ne peut-elle être rouverte à son ancienne métropole ? Un jour ou l’autre, ces questions peuvent se poser, et il n’est plus permis d’en écarter la discussion comme inopportune.

Que l’on compare les situations, et, avec un léger effort de libre examen, on comprendra facilement que la séparation dont Bolivar s’est fait le héros n’a plus véritablement désormais raison d’être. À une Espagne absolutiste, affaiblie, croupissant dans les plus vieilles traditions de son passé colonial, a succédé une Espagne jeune, libérale, se fortifiant chaque jour dans la pratique généreuse des libertés constitutionnelles, une Espagne enfin qui se prépare à reprendre sa place parmi les grandes puissances européennes. Rappelons à la modestie nationale les écrivains français qui parlent du « joug colonial de l’Espagne » en leur disant que les colonies espagnoles sont depuis longtemps, sous le rapport économique, presque aussi libres que celles de la libre Angleterre, tandis que la France en est encore à dégager les siennes du cruel monopole imaginé par Colbert. Sincèrement, croit-on qu’il n’y aurait pas plus de dignité et de profit pour le Mexique à redevenir librement une province de l’Espagne constitutionnelle que d’achever de s’épuiser dans des luttes fratricides, le jouet des ambitions les plus subalternes, la proie des aventuriers les plus obscurs ?… Ce que nous disons pour le Mexique, pourquoi ne le dirait-on pas pour la Colombie, pour le Pérou, enfin pour toutes les républiques indépendantes d’Amérique, d’origine espagnole, dont prétend arguer le manifeste de Port-au-Prince ?… Qui peut dire s’il n’arrivera pas un temps, — et ce serait là une des belles œuvres de la liberté, — où ces filles prématurément émancipées d’une métropole alors impuissante rougiront de leur dépravante atonie, et, suivant l’exemple que vient de donner la plus chétive d’entre elles, réclameront spontanément les privilèges de leur vieille nationalité, redevenue forte et glorieuse ?

Sans doute, qui pourrait le méconnaître ? le temps de cette reconstitution nationale n’est pas arrivé. L’Espagne doit se préparer à la grande tâche qui paraît lui être dévolue, en se fortifiant chez elle par le développement de ses institutions, par la fécondation de son sol, par la solide constitution de son crédit. Elle doit s’y préparer à l’extérieur en améliorant le régime politique et social de ses colonies. Ce n’est pas assez de les avoir affranchies commercialement des traditions laissées par l’ancienne monarchie, il faut les faire sortir d’un ilotisme politique qui fait disparate avec le régime de leur métropole, en les dotant d’institutions analogues au moins à celles