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et qui n’en pouvait mais, car ses angles abattus jonchaient le sol, les tuiles de son toit bondissaient en poussière ; à ses fenêtres, il ne restait plus une vitre. Du côté de Cajazzo, des troupes allaient et venaient, comme ne pouvant se résoudre à franchir le passage que gardaient nos artilleurs.

Des Napolitains revinrent à la faisanderie, prudemment d’abord, inquiets, regardant vers Monte-Tifata, où nos pièces restaient muettes. Ils s’avancèrent, conduits et encouragés par un officier que je reconnaissais à son képi galonné. Ils tirèrent plusieurs coups qui vinrent se perdre à quelque distance de notre emplacement. Nos quatre canons furent pointés par l’officier même qui commandait la batterie, et ensemble ils firent feu. L’effet fut terrible. Un boulet pénétra dans un des gourbis de paille qui sauta en l’air avec de la fumée, de la terre, des débris de toute sorte ; un autre frappa au milieu d’un groupe de soldats et éclata. Deux hommes s’affaissèrent sur eux-mêmes, comme un vêtement qui tombe ; un troisième, projeté en avant, les bras étendus, courut quelques pas et s’abattit la face contre terre. Involontairement j’eus un mouvement d’horreur, mon œil quitta la lorgnette, je ne vis plus rien, et je restai stupéfait de ne plus apercevoir que le paysage tranquille qui verdoyait sous les petits nuages de fumée que le vent emportait. Je regardai de nouveau : les Napolitains fuyaient et descendaient précipitamment la colline, derrière laquelle je les perdis de vue.

Nous revînmes à Sant’Angelo ; nulle alerte n’avait eu lieu ; l’ennemi était enfermé derrière ses remparts ; nos avant-postes veillaient. La vieille Capoue devait jadis s’étendre jusqu’à Sant’Angelo, car on retrouve partout ici des traces d’antiquités : voies, murailles, colonnes brisées. Le campanile de l’église est carré, composé de deux étages, dont le premier est exclusivement formé de cubes en marbre blanc, reste de quelque construction détruite, et dont beaucoup sont encore chargés d’inscriptions ; le second étage est en belles briques bien agencées et percées de deux baies latines où les cloches sont suspendues. Pour le moment, cet étage servait de prison ; c’est là qu’on renfermait les nombreux espions que les royaux envoyaient vers nous pour compter nos troupes, surprendre nos positions et prévoir nos mouvemens. La petite église attenante au campanile est curieuse, car elle est construite sur le modèle des vieilles basiliques, et date, sans contredit, des premiers siècles de l’ère chrétienne. Dans l’impossibilité de trouver à loger nos soldats chez les habitans et dans la nécessité de les avoir en nombre sous la main à un moment voulu, on avait été obligé de prendre l’église et de la leur abandonner ; elle était jonchée de paille, et c’est là qu’ils dormaient, ayant pour oreiller les marches de l’autel. Devant l’église s’étend