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tout intime, répond à ce préjugé. Sa place est marquée dans un vestibule, au-dessus d’une porte ou d’une cheminée, de même que le bas-relief des Adieux serait l’ornement d’un portique ou du palier d’un grand escalier. On saurait bien vite le parti qu’on peut tirer de la sculpture, si on l’aimait, et cet art se prêterait à embellir les habitations les plus exiguës, si on l’appelait à les décorer. Je me souviens à ce propos que la duchesse de Plaisance, qui avait une maison sur les bords de l’Ilissus, battit des mains lorsqu’elle apprit l’arrivée de David d’Angers à Athènes. C’était en 1852 ; le célèbre sculpteur cherchait partout une consolation aux douleurs de l’exil, et il avait espéré que les heures lui paraîtraient moins amères dans la patrie de Phidias. La duchesse lui demanda aussitôt s’il consentirait à sculpter un bas-relief pour orner l’entrée de sa demeure ; elle désignait pour sujet Thémistocle accueilli par Admète, emblème de l’hospitalité qu’elle prétendait offrir aux visiteurs. David ne resta que peu de temps à Athènes : il préféra faire le buste de Canaris, afin de compléter sa galerie d’hommes illustres ; mais la fille de Barbé-Marbois n’en prouva pas moins qu’elle appartenait à une génération qui tenait les sculpteurs en estime singulière et se réjouissait d’obtenir leurs œuvres.

Il y a un moment critique dans la vie d’un artiste, lorsque, rassasié d’études et animé d’une ambition légitime, il veut prendre son essor. Tous ceux qui n’ont que des qualités acquises et brûlent d’un feu tranquille retombent aussitôt, se résignent au lieu-commun et jettent leurs figures dans le même moule. C’est pourquoi, aux diverses époques, tant de statues ont un air de famille qui permettrait de les signer du même nom : chaque siècle, à un degré inégal, présente un style courant qui s’appelle la médiocrité. Mais l’homme qui a des instincts plus hardis et le sentiment de sa puissance se jette hors des sentiers battus ; il a besoin de commander l’attention, il a surtout besoin de se satisfaire lui-même. On dit de certaines poses qu’elles sont athlétiques, parce que ceux-là seuls peuvent les prendre qui sont des athlètes. Je crois aussi qu’il n’y a que les sculpteurs doués par la nature d’un tempérament dont ils ont conscience qui osent concevoir certains sujets. L’esprit d’indépendance règne dans la sculpture moderne, qui, depuis Michel-Ange, tend toujours à substituer le sentiment personnel à la tradition. Les sculpteurs qui aiment la force et ne redoutent pas une grandeur où l’emphase prend quelquefois la place du goût sont surtout attirés vers Michel-Ange. L’audace est contagieuse pour les âmes fières, comme l’amour de la liberté pour les peuples et l’héroïsme pour les soldats. On regrette amèrement une telle contagion, lorsqu’on sait où elle a conduit la renaissance ; l’école française du XVIIe siècle a moins à s’en plaindre, puisqu’elle lui doit le grand Puget. Il semble que