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à l’exposition universelle et remportait une première médaille. Il n’y en avait que huit pour les sculpteurs de toute l’Europe, et les membres du jury étaient tirés de chaque nation. À quoi servirent tant de suffrages illustres ? Il ne s’agissait ni d’une statuette de genre, ni d’un chien guettant une perdrix, ni d’une femme nue. L’Adam revint dans l’atelier et se couvrit encore de poussière pendant quatre années. Il fallut le généreux acharnement de l’Académie des Beaux-Arts, qui à plusieurs reprises intervint auprès du ministre, pour que la statue fût enfin achetée en 1859 : encore n’oserais-je dire pour quel prix !

L’homme convaincu ne se décourage point. Le travail n’est pas seulement sa consolation, c’est sa vengeance. Deux ans après, M. Perraud envoyait à l’exposition de 1857 une nouvelle statue, un Faune jouant avec le petit Bacchus. Le sujet est pastoral, plus encore que celui d’Adam ; il laisse à l’artiste toute liberté pour se livrer aux caprices de la nature, pour en poursuivre les aspects originaux, variés, qui se multiplient autant que les modèles, car la nature est inépuisable, non-seulement par sa propre richesse, mais surtout par la façon dont on la voit et dont on l’interprète. Supposons un site champêtre, à l’ombre d’une forêt chère aux satyres et aux nymphes, non loin d’une source qui murmure, devant la grotte où Bacchus est élevé. Voici un banc rustique, formé de trois pierres et recouvert d’une peau de chèvre. Sur le sol sont épars les cymbales, le chalumeau, la flûte, qui ont calmé les cris du petit enfant. Le faune est assis, dans une attitude générale de gaieté, de grâce pétulante, la jambe droite croisée sur la gauche. Il faisait sauter le jeune dieu, à la façon des laboureurs qui le soir, au retour des champs, jouent avec leur dernier-né ; mais il a eu l’imprudence de le poser sur son épaule, et l’enfant l’a saisi par son oreille pointue. Le Faune paraît enchanté et rit à gorge déployée ; mais, comme Bacchus tire trop fort, il détourne la tête d’un air bénin, lui retient la main et le soulève avec précaution. Le dieu se mutine, lève son petit thyrse et s’apprête à frapper son père nourricier. — Telle est à peu près la disposition du groupe, qui, pour être si élégamment rustique, n’en est pas moins sculptural. La bas de la figure se masse comme un piédestal, puis les lignes partent de la base, montent, se font équilibre, diminuent, forment un sommet, et se composent à la façon d’une pyramide, qui est l’apparence la plus satisfaisante de la stabilité. Tout est mouvement, tout est gaieté, tout agit, tout palpite.