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à l’art, elles sont utiles aux artistes ; elles protègent leurs intérêts, les mettent en communication avec un immense public, qui n’aurait jamais visité leurs ateliers, qui ne peut même plus les visiter aujourd’hui que les ateliers se comptent par milliers. Il ne faut pas s’y tromper, la foule qui se presse au Palais de l’Industrie ne vient pas seulement admirer, mais acheter. C’est pourquoi, loin de restreindre le droit d’exposer, il est plus juste de l’étendre. Comment interdire aux uns ce qui sera accordé aux autres ? Si vous prononcez les exclusions au nom de la beauté, alors soyez plus sévères, n’admettez pas tant d’œuvres pitoyables, ayez même le courage d’être inhumains, et vous aboutissez par le fait à un concours ; mais avant ce concours il faut que tout le monde vive : il faut que les sculpteurs et les peintres obtiennent des particuliers ce qu’ils n’obtiendront pas de l’état, qui ne peut suffire à d’aussi nombreuses exigences. Laissez-les tenter le public. Le tableau que vous repoussez, peut-être un amateur l’eût-il acheté. La statue qui choque votre goût eût séduit peut-être un nouvel enrichi. Dans un marché, la concurrence doit être libre et les chances égales. Quand vous ouvrez le Palais de Cristal aux animaux, aux fleurs, aux produits de l’industrie, vous ne chassez point des moutons parce qu’ils sont trop laids, vous n’écartez point une rose parce qu’elle est monstrueuse, vous ne faites point remporter une machine parce qu’elle est trop bruyante. En vain vous protestez contre mes comparaisons, en vain vous revendiquez pour les expositions d’art un but plus désintéressé, vous ne pouvez échapper aux tendances inexorables de notre civilisation. Dans ce Paris qui développe chaque jour ses proportions gigantesques, l’individu disparaît ; des centaines d’artistes sont menacés, je ne dis pas de vivre inconnus, mais de ne pas vivre. Pendant deux ans, ils se privent, travaillent, espèrent, parce que l’exposition leur promet, sinon un triomphe, du moins du pain pour leur famille. De tels besoins ne sont-ils pas sacrés, et n’avais-je pas raison de dire que toute réforme radicale serait révoltante ?

La fête qui a commencé le 1er mai me paraît une nécessité. Je ne la supprimerais pas, je la compléterais. On a reçu quatre mille tableaux ou statues, j’en aurais reçu six mille. Dès qu’on descend au-dessous d’une certaine médiocrité, pourquoi chercher des limites ? Il suffit qu’on écarte les œuvres qui blessent la pudeur ou qui outragent le bon sens jusqu’au ridicule. Comme un grand nombre d’étrangers accourent à notre exposition, il convient qu’elle ne soit pas déshonorée à leurs yeux. À part cette sorte de police, laissons se constituer un marché de peinture et de sculpture digne de rivaliser avec les foires de Francfort ou de Leipzig. Seulement, après que toutes les exigences comme toutes les vanités auront été satisfaites, après que la foule, pendant un mois entier, aura contemplé, admiré,