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III

Au bout du chemin creux, qui à son extrémité se réunit à angle très aigu avec le chemin vicinal, nous trouvâmes le Vulturne. Autour de nous, les boulets labouraient la terre, qui jaillissait en panaches de poussière. Un jeune officier nous dit en souriant : « Les balles sifflent comme des merles amoureux ! » Il n’avait pas fini sa phrase qu’il tombait avec un bras fracassé. C’était une grêle, je parle sans métaphore, Nos soldats eurent un instant d’hésitation, et l’on vit osciller leurs rangs. Celui qui, après la blessure du colonel Longo, venait d’être chargé de les commander leur dit à peu près. ceci : « Mes enfans, il ne s’agit ni d’avoir peur, ni de lâcher pied ; nous tenons ici la clé de la position qui défend Sant’Angelo. Si Sant’Angelo est pris, tout est perdu. Il faut donc rester ici et s’y faire tuer jusqu’au dernier en criant vive l’Italie ! » Un sous-officier déjà grisonnant sortit des rangs, et, s’approchant de celui qui avait parlé, il lui répondit à haute voix : « Alors, monsieur, nous allons mourir. » Ce ne fut point une vaine parole, tous l’entendirent et tous. l’approuvèrent. Le soir, on avait emporté de là onze tombereaux de morts et cent quatre-vingt-trois blessés. La Toscane peut être fière d’avoir produit de tels hommes. Ils étaient jeunes pour la plupart, doux, très curieux, bavards dans leur suave parler, qui ressemble au chant des oiseaux, sans grand élan, mais d’une intrépide ténacité que rien ne put vaincre. Quand les munitions commençaient à manquer, on envoyait dix hommes en chercher au quartier, et les dix hommes revenaient sans qu’un seul eût songé à profiter de sa course loin du péril pour ne pas revenir. Pendant sept heures, ils tinrent là, sans reculer d’une semelle, et avec une fermeté si imposante que les Napolitains semblèrent renoncer à cette position, sur laquelle ils lançaient des masses toujours renouvelées.

Parmi nous, il y avait un petit Sicilien qui servait de trompette ; il avait environ quatorze ans, était de courte taille, très basané, d’une intarissable gaieté, qui sur son visage noir jetait l’éclair de ses dents blanches. Il avait une manie baroque. Dès qu’il trouvait un ruban blanc, il le cousait sur sa manche en guise de galon. Dès qu’il avait une petite pièce de monnaie, il y faisait un trou, et, à l’aide d’une ficelle, la suspendait à sa poitrine. On en riait. « Quelles belles décorations ! »-lui disait-on. Et il répondait avec une gambade : « C’est l’ordre du baïocco et la croix du carlin ! — Si on te donne une piastre, qu’en feras-tu ? — Je me la pendrai au cou, et je serai commandeur du ducat d’argent. » Il était avec nous pendant nos premières marches des Calabres, à côté de nos chevaux, prêt à en