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n’en est pas moins vrai que la force des choses nous fait vivement souffrir des embarras industriels et commerciaux de cette grande usine, de cette grande maison de commerce qu’on appelle l’Angleterre. Est-ce là un progrès ? Ne serait-ce pas plutôt un mauvais système ? Dans la crise présente, l’Angleterre achetant par an de 2,500,000 à 2,600,000 balles de coton aux États-Unis et étant presque constamment leur débitrice, il est arrivé que, le crédit s’ébranlant dans le Nouveau-Monde, les banques de l’Union se sont hâtées de pourvoir à l’approvisionnement de leur réserve métallique, et ont fait, par tous les moyens en leur pouvoir, puiser dans les caisses de la Banque d’Angleterre, qui représentent presque tout le numéraire existant dans un pays où les habitudes et la pratique des affaires ont si bien appris depuis longtemps à n’en presque pas faire usage. Mais, comme la Banque d’Angleterre a d’autant plus besoin de l’or déposé dans ses caves qu’il n’en existe pour ainsi dire pas ailleurs dans les trois royaumes, aussitôt que les banques américaines ont menacé de lui enlever ses précieux trésors, elle s’est mise en état de défense pour en empêcher l’exportation et a élevé le taux de son escompte. Alors les intermédiaires, les banquiers, au moyen de combinaisons dont ils ont l’habitude entre eux, sont parvenus jusqu’à la Banque de France et lui ont enlevé à leur tour, pour le revendre à haut prix aux Anglais et aux Américains, le métal monnayé nécessaire au commerce et à l’industrie française, qui ne savent ou ne peuvent pas le remplacer par les pratiques habituelles aux contrées essentiellement commerçantes. C’est là l’explication du trouble qui règne en ce moment même dans nos affaires, c’est ainsi que nous sommes atteints par des événemens extérieurs et que la prospérité de la France est liée par la centralisation de ses moyens de crédit à la fortune de contrées qui ont des élémens de production et de travail absolument différens de ceux qu’elle possède.

Obligée de suffire aux besoins généraux de toute la France, au mouvement de ses importations et de ses exportations, à toutes les éventualités de nos relations internationales, à toutes les fluctuations du commerce des métaux monnayés, étant par la force des choses une institution qui nulle part n’a d’égalé dans les fonctions qu’elle remplit, la Banque de France ne rencontre et ne peut rencontrer autour d’elle aucune aide dans les temps difficiles, et ne peut pas en donner aux autres. Devenue le générateur du mouvement financier de toute la France, il faut qu’elle songe avant tout à sa sécurité et à sa conservation propre : la prudence la plus scrupuleuse lui est commandée au nom de l’universalité des intérêts, et on ne peut que louer cet établissement de la façon modérée avec laquelle il préserve sa lourde responsabilité ; mais, si on ne doit pas blâmer les actes qui lui