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a tout fait, et malgré des efforts inouïs il n’a pu créer que des chemins qui, serpentant au flanc des montagnes, étonnent le voyageur le plus aguerri. Est-il une seule personne qui ait franchi sans émotion les hauteurs de Vergara, que l’on gravit à l’aide de bœufs, car les mules elles-mêmes deviennent insuffisantes ? Dans les replis qui se déroulent sur le liane de la montagne, on tremble à chaque instant de choir au fond du précipice qui borde le chemin.

L’homme en ces lieux semble avoir reçu une organisation spéciale : vigoureux et petit, il se balance sur des jarrets d’acier qui font de lui le meilleur piéton du monde. C’est cette race de coureurs basques, si connus par leur agilité, qui a pu fournir autrefois les meilleurs soldats de l’armée de don Carlos. Rien ne ressemble dans ce pays au reste de l’Espagne : on dirait même que le repos est l’ennemi de l’homme, qui jusque dans ses jeux cherche à exercer sa vigueur et son agilité. Dans les villes, les promenades prennent un aspect tout particulier : de tous côtés se forment des groupes où la paume et le ballon remplacent les doux propos de l’Andalousie. Et cependant c’est encore la contrée la plus gaie de l’Espagne ; nulle part le peuple n’improvise de plus folles chansons, nulle part il ne cultive davantage les castagnettes et la guitare ; jamais armée n’a eu de plus joyeuses fanfares que celles qu’ont trouvées les carlistes dans ces airs nationaux. Les mœurs ont conservé dans ces contrées plus de pureté que partout ailleurs. Le peuple s’y marie sans abandonner la maison paternelle : aussi n’est-il pas rare d’y trouver des caserias composées de plus de vingt-quatre membres, et chacun par son travail cherche à augmenter le bien-être de la chaumière, suspendue au coteau et entourée d’un jardin pittoresque. Si parfois le Basque s’éloigne, il ne tarde pas à revenir au milieu des siens avec quelques économies qu’il n’a dues qu’à un rude labeur. Dans tous les cas, il lui faut le travail libre, au grand air, qui lui permette de respirer à pleins poumons. Le Galicien y met moins de scrupule : il lui est indifférent de servir comme porteur d’eau, domestique ou manœuvre. Il lui faut un petit pécule qui lui permette de se retirer en Galice. Cet ensemble de conditions, joint aux lois sages et patriarcales qui régissent le pays, ont fait des trois provinces basques le joyau de l’Espagne, et c’est avec un orgueil légitime que les habitans montrent leur drapeau national orné des trois mains réunies.

Ce pays d’un accès si difficile va bientôt néanmoins entendre siffler la locomotive, qui parcourra l’espace compris entre les trois capitales, Vittoria, Bilbao et Saint-Sébastien. Le chemin de fer du nord de l’Espagne, dirigé avec une énergie qui a su vaincre bien des obstacles, a ouvert sa ligne sur un parcours de 310 kilomètres, aujourd’hui en plein rapport. Il voit tous les jours augmenter ses produits et les voyageurs arriver : peut-être le résultat a-t-il dépassé les espérances.