Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/732

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bon nombre de personnes le repoussèrent, mues par le patriotisme le plus consciencieux.

Voici donc, au dire de certaines gens, ce qui allait se passer dès que le chemin de fer des Alduides serait construit. L’empereur Napoléon III, faisant arriver rapidement une armée au pied des Pyrénées, devait l’embarquer en wagon, s’emparer en quelques heures de Pampelune, aller à Saragosse, s’établir sur l’Ebre pour de là menacer le reste de la monarchie, et l’armée espagnole, impuissante à s’opposer au torrent envahisseur, n’en aurait même pas eu le temps. Si peu sérieux que ce projet paraisse, on l’a pourtant annoncé, et on a cité en témoignage des pensées ambitieuses nourries par la France, les soins particuliers avec lesquels les fortifications de Bayonne sont entretenues. Quoi qu’il arrive, rien au monde ne pourrait empêcher de masser les armées françaises à la frontière espagnole, et pour cela les chemins de fer rendraient de grands services ; mais, arrivés à ce point, nos généraux ont-ils tellement dégénéré qu’ils pussent concevoir la folie de livrer leurs soldats à une mort certaine qui les attendrait à chaque pas dans le tunnel international, sur les viaducs, partout, — mort terrible, puisqu’elle serait sans combat ? Lancer un convoi de soldats dans de pareilles conditions serait véritablement la conception la plus originale du monde. Pour qu’un chemin de fer pût être d’un secours quelconque, il faudrait admettre une trahison unanime, et ce jour-là les Pyrénées seraient parfaitement impuissantes. Ainsi Pampelune n’a rien à craindre évidemment ; mais en Espagne certaines cordes vibrent toujours, et ceux qui ont essayé d’évoquer des souvenirs irritans auraient dû remarquer que Saragosse et la Navarre furent les seuls points de résistance à certains momens qui, grâce à Dieu, ne reparaîtront pas. Les chemins de fer détruisent les guerres en créant des relations qui enseignent aux peuples à se connaître et à s’estimer.

Il est un côté de la question que peut-être le gouvernement espagnol et le pays ont trop négligé. Si l’on considère la nature des produits au-delà des Pyrénées, il est aisé de s’apercevoir qu’il n’est pas possible de leur faire supporter des frais de transport élevés : les blés, les vins, les laines, les minerais, etc., se présenteraient alors avec désavantage sur les marchés qui les consomment. Ces produits n’ont pas en Espagne la ressource des canaux et des rivières comme en France : il n’existe guère véritablement que le canal de Castille, dont la navigation est si mal organisée qu’il a vu tout son trafic passer au chemin de fer du nord. En dehors de ce moyen, il n’y a plus que le transport à dos de mulet et la galère, moyens imparfaits et coûteux. D’un autre côté, l’état a dû accepter des tarifs très élevés pour ses chemins de fer, tarifs que rien ne force à réduire