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A M. EMILE MONTEGUT.


Monsieur,

Dans un article intitulé l’Académie française et le Prix décennal, et publié dans le dernier numéro de la Revue des Deux Mondes, vous vous proposez d’établir que parmi les académiciens qui ont écarté la candidature de Mme Sand, sous prétexte de morale, une vingtaine au moins ont commis les mêmes péchés, ou un des péchés analogues. Vous citez les coupables, et je me trouve parmi eux.

Vous me donnez, monsieur, un vrai témoignage de bienveillance par un rapprochement avec des noms illustres dont le voisinage m’honore dans votre article comme à l’Académie ; mais il m’est impossible de ne pas protester contre une erreur radicale en ce qui me concerne.

« Je rencontre, dites-vous, le nom de M. de Falloux, qui a fait l’apologie de l’inquisition, et qui a trouvé dans son esprit fertile en ressources des excuses pour la Saint-Barthélémy. » Vous ajoutez : « Il y a dans l’histoire des événemens d’une moralité douteuse, et sur lesquels le monde discute encore : tels sont la terreur et la Saint-Barthélémy. Il est parfaitement permis, selon nous, de professer une opinion favorable à ces événemens ; mais beaucoup de gens ne sont pas de notre avis. »

C’est précisément sur ce point, monsieur, que je différerais avec vous, si je devais croire que le sentiment que vous exprimez là est sérieux. Pour mon compte, je ne pense pas, je n’ai jamais pensé qu’il fût permis de faire l’apologie ni de la Saint-Barthélémy, ni de la terreur. Plus d’une fois même il m’est arrivé de demander à des juges trop indulgens des crimes de la révolution de condamner la terreur aussi hautement, aussi énergiquement que je condamnais la Saint-Barthélémy. Je ne puis donc accepter, soit votre blâme, soit votre tolérance sur ce sujet.

L’involontaire calomnie dont vous vous faites l’écho, monsieur, remonte à nos discussions orageuses de 1849. Un orateur qui, comme vous, n’avait point lu mon Histoire de saint Pie V, prétendait en faire sortir ce que je n’y avais jamais mis. Je lui répondis alors ce que je vous demande la permission de vous répondre encore aujourd’hui. Prenant pour point de départ que la Saint-Barthélémy est l’un des crimes les plus exécrables que nous présente l’histoire, j’ai cherché à démontrer : 1° que saint Pie V, qui était mort un an avant, ne put ni y coopérer, ni y applaudir, comme l’en ont accusé plusieurs historiens du XVIIIe siècle ; 2° que le saint-siège n’en fut ni le confident, ni l’instigateur, et que le pape successeur de saint Pie V, qui, en retour d’une dépêche inexacte, félicita Charles IX sur l’horrible nuit de 1572, avait cru en toute bonne foi le féliciter d’avoir échappé à un complot périlleux pour sa vie et pour sa couronne.

Voilà toute ma thèse, monsieur. Elle est, historiquement, vraie ou fausse ; mais, en morale, elle est assurément irréprochable. Ce n’est pas la Saint-Barthélémy que je justifie, c’est saint Pie V en particulier et l’église en général, ce qui est fort différent de ce qu’on m’attribue. Vous avez, monsieur, l’esprit trop loyal et trop juste pour ne pas admettre cette différence, et pour ne pas m’en assurer le bénéfice devant vos nombreux lecteurs.