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sacrifiaient les intérêts de l’Italie à ceux de la France, c’était celui-ci, que dans l’état des choses, et en attendant que la nouvelle organisation de l’Europe fût consolidée par le temps, tout ce qui fortifiait l’empire français tournait aussi à l’avantage du royaume italien. On peut aller loin avec de semblables raisonnemens. Eugène, un peu revenu de l’étourdissement où l’avaient jeté les premières et brutales réprimandes de l’empereur, hasardait, bien que timidement, quelques objections. C’est ainsi qu’il se crut obligé de signaler le mauvais effet produit par un décret qui créait, sur le territoire vénitien, douze duchés richement dotés aux dépens du pays et destinés, suivant toute apparence, à des généraux français. Quoiqu’il se fût bien gardé de paraître approuver ce mécontentement, l’empereur reçut fort mal cette insinuation. « Je n’ai pas l’habitude, répondit-il, de chercher mon opinion politique dans le conseil des autres ; mes peuples d’Italie me connaissent assez pour ne devoir point oublier que j’en sais plus dans mon petit doigt qu’ils n’en savent dans toutes leurs têtes réunies. » Il ajouta qu’aucun des nouveaux duchés ne serait donné à un Italien.

Eugène, qui n’avait pris aucune part à la campagne d’Austerlitz, n’en prit aucune non plus aux campagnes d’Iéna, d’Eylau, de Friedland. Il resta par conséquent étranger à la période la plus brillante des guerres de l’empire. Ce fut pour lui une vive contrariété. Il insistait autant qu’il l’osait pour sortir de cette inaction, si singulière à son âge et à une pareille époque ; mais l’empereur restait sourd à ses sollicitations. On a peine à concevoir qu’avec les vues qu’il avait sur le vice-roi, il le tînt ainsi éloigné du théâtre où il aurait pu acquérir de l’expérience et de la gloire. Augmenter les fortifications du royaume d’Italie, développer en ce pays l’esprit militaire, c’étaient là les principales préoccupations du jeune prince. Le système adopté par Napoléon conduisait en effet nécessairement à considérer la création des instrumens de guerre comme le grand but d’un gouvernement. Avec de l’argent, avec l’habileté des ingénieurs français, il était facile de construire ou de perfectionner des citadelles ; mais il ne l’était pas également de changer en un peuple de soldats une nation endormie depuis des siècles dans de tout autres habitudes. La correspondance du vice-roi atteste les nombreuses difficultés qu’il rencontra dans cette tâche : elle n’avait rien d’ailleurs qui pût lui répugner ; mais il n’en est pas de même de celle que lui imposaient les différends qui s’étaient élevés entre l’empereur et le saint-siège, et qui prenaient chaque jour plus de gravité.

Je n’ai pas à retracer ici les immenses détails de cette lutte fameuse. Bien des questions s’y trouvèrent successivement engagées ; mais lorsqu’on l’étudié avec quelque attention, on reconnaît qu’une