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seule avait une véritable gravité aux yeux de l’empereur, et que, sans elle, toutes les autres, ou ne se seraient pas produites, ou auraient pu se résoudre sans grande difficulté. Cette question, c’était la prétention de Napoléon, maître par lui-même ou par sa famille de tout le reste de l’Italie, d’obliger le pape, souverain du centre de la péninsule, à entrer avec lui dans des rapports d’alliance qui eussent réduit le saint-siège à un véritable état de vassalité, qui l’auraient obligé à avoir les mêmes amis et les mêmes ennemis que la France, à fermer ses ports aux Anglais, à rappeler son envoyé de Saint-Pétersbourg, lorsque l’Angleterre et la Russie étaient en guerre avec l’empire français. Le refus d’une telle alliance était, suivant Napoléon, un acte d’hostilité, et la situation du royaume d’Italie et du royaume de Naples ne permettait pas de laisser subsister entre eux une puissance ennemie. Les conséquences d’une telle argumentation se déduisaient en quelque sorte d’elles-mêmes. On sait où elle conduisit l’empereur, on sait de quels incroyables raisonnemens il crut pouvoir l’appuyer en invoquant le souvenir de son prédécesseur Charlemagne, qui, disait-il, n’avait pas donné au pape les états de l’église pour qu’il en fît usage dans l’intérêt des hérétiques. Voilà à quel degré, je ne dis pas seulement d’iniquité et de violence, mais tranchons le mot, d’absurdité, peut descendre un grand homme, lorsque les faveurs exagérées de la fortune et l’intensité du despotisme, réduisant tout le monde autour de lui au silence de la terreur et l’isolant dans son orgueil irrité, ne laissent plus arriver à ses oreilles cette voix du genre humain, ces inspirations de la conscience publique, qui peuvent seules préserver des plus funestes aberrations la toute-puissance, même unie au plus grand génie.

On se tromperait pourtant, si l’on pensait qu’à l’origine de cette querelle Napoléon en eût prévu ou désiré le dénoûment. Après avoir fait passer sous le joug tous les princes du continent, après les avoir contraints à se coaliser avec lui contre l’Angleterre, à subir toutes les gênes, tous les sacrifices exigés par l’application du système continental, il ne pouvait se persuader que le faible souverain de l’état pontifical oserait s’y refuser. Étonné de sa résistance, il crut que des menaces appuyées de quelques mesures de contrainte et de rigueur en auraient promptement raison. L’occupation successive, puis la réunion à l’empire de plusieurs provinces des états de l’église, plus tard l’occupation de Rome même, l’espèce de captivité où le pape y resta pendant une année avant d’en être éloigné, l’enlèvement, l’emprisonnement de ses conseillers, le désarmement de ses soldats fidèles, les châtimens infligés à quiconque, pour lui obéir, se mettait en opposition avec les ordres du pouvoir usurpateur, telles furent, pour ainsi parler, les étapes par lesquelles on arriva, en trois ans, au grand attentat de 1809. La correspondance