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de Napoléon pendant ces trois années porte la trace des violentes agitations auxquelles son âme était livrée. Si dans certains momens il affecte de se féliciter de l’imprudente obstination du pape, qui fournira, dit-il, une belle occasion de s’emparer de ses états, dans d’autres on le voit préoccupé du désir d’éviter un éclat définitif, sans pourtant renoncer à des prétentions où son amour-propre est engagé plus encore que sa politique. Il veut écrire directement au pape, puis il y renonce ; mais il charge le vice-roi de le faire à sa place, d’essayer d’intimider Pie VII en lui montrant les conséquences d’une rupture, et de lui envoyer confidentiellement copie d’une lettre qu’il est censé avoir reçue de l’empereur. Rien de plus étrange que cette lettre : elle roule principalement sur une question relative au mode de nomination des évêques italiens ; mais la question générale y déborde tout à fait l’incident particulier. Répondant, dans cette forme indirecte, à une communication antérieure du pape :


« J’ai vu, dit Napoléon, que sa sainteté me menace. Croirait-elle donc que les droits du trône sont moins sacrés aux yeux de Dieu que ceux de la tiare ? Il y avait des rois avant qu’il y eût des papes. Ils veulent, disent-ils, publier tout le mal que j’ai fait à la religion. Les insensés ! ils ne savent pas qu’il n’y a pas un coin du monde, en Allemagne, en Italie, en Pologne, où je n’aie fait encore plus de bien à la religion que le pape n’y a fait de mal… Ils veulent me dénoncer à la chrétienté ; cette ridicule pensée ne peut appartenir qu’à une profonde ignorance du siècle où nous sommes… Le pape qui se porterait à une « telle démarche cesserait d’être pape à mes yeux. Je ne le considérerais que comme l’antéchrist envoyé pour bouleverser le monde et faire du mal aux hommes… Je séparerais mes peuples de toute communication avec Rome, et j’y établirais une police. Elle me répondrait que les scènes qui ont eu lieu ne se renouvelleraient plus, telles que ces prières mystérieuses et ces réunions souterraines imaginées pour alarmer les âmes timorées. La cour de Rome prêche la rébellion depuis deux ans… Je souffre depuis longtemps de tout le bien que j’ai fait. Je le souffre du pape actuel, que je cesserai de reconnaître le jour où je reconnaîtrai que ces tracasseries viennent de lui. Je ne le souffrirai pas d’un autre pape. Que veut faire Pie VII ?… Mettre mes trônes en interdit, m’excommunier ! Pense-t-il que les armes tomberont des mains de mes soldats ? mettra-t-il le poignard aux mains de mes peuples pour m’égorger ? Cette infâme doctrine, des prêtres furibonds et nés pour le malheur des hommes l’ont prêchée. Il ne resterait plus au saint-père qu’à me faire couper les cheveux et à m’enfermer dans un monastère… Me prend-il pour Louis le Débonnaire ?… Le pape s’est donné la peine de venir à mon couronnement à Paris. J’ai reconnu à cette démarche un saint prélat ; mais il voulait que je lui cédasse les Légations : je n’ai pu ni voulu le faire. le pape actuel est trop puissant. Les prêtres ne sont pas faits pour gouverner. Qu’ils imitent saint Pierre et saint Paul et les saints apôtres, qui valent bien les Jules, les Boniface, les Grégoire ; les Léon. Jésus-Christ a dit que son royaume n’était pas de ce monde. Pourquoi le