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pape ne veut-il pas rendre à César ce qui est à César ? Est-il sur la terre plus que Jésus-Christ ?… Qu’a de commun l’intérêt de la religion avec les prérogatives de la cour de Rome ? La religion est-elle fondée sur l’anarchie, sur la guerre civile et sur la désobéissance ?… Le pape me menace de faire un appel à mes peuples. Ainsi il en appellera à mes sujets ?… Ils diront comme moi qu’ils veulent la religion, mais qu’ils ne veulent rien souffrir d’une puissance étrangère, que nous nous soumettrions à la mission divine… d’un saint anachorète, mais jamais à la décision d’un vicaire de Dieu souverain sur la terre, lorsque, sous le prétexte de choses religieuses, il ne sera animé que par les passions attachées aux grandeurs humaines. Simple anachorète, il n’agira que pour Dieu et ne sera point tenté par le démon de la discorde et des vanités terrestres… La religion n’a été rétablie en Italie que par moi… Ce n’est pas d’aujourd’hui que la religion est le dernier des intérêts qui occupent la cour de Rome… C’est le désordre de l’église que veut la cour de Rome, et non le bien de la religion. Elle veut le désordre pour pouvoir s’arroger un pouvoir arbitraire… Je commence à rougir et à me sentir humilié de toutes les folies que me fait endurer la cour de Rome, et peut-être le temps n’est-il pas loin… où je ne reconnaîtrai le pape que comme évêque de Rome, comme égal et au même rang que les évêques de mes états. Je ne craindrai pas de réunir les églises gallicane, italienne, allemande, polonaise, dans un concile pour y faire mes affaires sans le pape… Les papes ont profité de l’ignorance des peuples des Gaules, de l’Espagne et du Nord ; ., mais au moins il y avait dans ce temps de la politique, de l’esprit… Aujourd’hui il n’y a qu’inactivité, ignorance et esprit de vertige… C’est pour la dernière fois que j’entre en discussion avec cette prêtraille romaine. On peut la mépriser et la méconnaître et être constamment dans la voie du salut et dans l’esprit de la religion… Les droits de la tiare ne sont autres que s’humilier et prier. L’insolence et l’orgueil ne font pas partie de ses prérogatives… Jamais je ne permettrai que mes évêques aillent à Rome se soumettre à un souverain étranger ; que le pape cesse d’être souverain, et je consentirai à avoir des communications avec lui… D’ailleurs Jésus-Christ n’a pas institué un pèlerinage à Rome comme Mahomet à La Mecque… »


Cette lettre, aussi dépourvue de dignité que de logique et qui semble l’œuvre d’un enfant irrité, n’était pas faite pour amener une conciliation. À mesure que la résistance du pape se prolongeait et que les moyens par lesquels on cherchait à la vaincre suscitaient des difficultés nouvelles, l’exaspération de Napoléon augmentait. Il s’emportait contre ses propres agens, qui ne lui semblaient pas entrer avec assez d’ardeur dans sa passion contre le pape. Il rappelait de Rome son ambassadeur Alquier, l’ancien conventionnel, coupable de trop de ménagemens envers Pie VII. Il accusait aussi de faiblesse le général Miollis, commandant du corps d’occupation, parce qu’il cherchait à prévenir ou à adoucir les collisions journalières inséparables d’une telle situation. Il lui faisait donner l’ordre de ne plus rien ménager, puisque le pape ne gardait aucune mesure, de s’emparer à Rome même du gouvernement, de faire parader les troupes