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à se prêter de bonne grâce au grand sacrifice qu’on lui demandait. Comprenant l’inutilité de toute résistance, le vice-roi contribua en effet à lui inspirer la résignation nécessaire, et ce fut en sa présence que les deux époux se mirent enfin d’accord pour leur séparation. L’empereur voulut aussi qu’Eugène, en sa qualité d’archichancelier d’état, allât prêter serment dans le sein du sénat et y prît place pour la première fois le jour où l’on notifiait à cette assemblée la dissolution du mariage de sa mère. Une telle exigence avait quelque chose de cruel ; mais Napoléon tenait sans doute à prouver que sa volonté était acceptée pleinement et sans arrière-pensée par ceux même dont elle blessait les sentimens et les intérêts, et tout devait céder devant une pareille considération.

L’Italie était agitée et mécontente. L’espérance de former un jour un royaume indépendant lui avait longtemps fait supporter avec patience les charges pesantes, les mesures oppressives dont Napoléon l’accablait pour en faire un des instrumens de ses projets ambitieux ; mais cette espérance s’était beaucoup affaiblie, surtout depuis que le prince Eugène se trouvait désigné comme héritier d’un autre état. On craignait même que l’autonomie apparente du royaume ne disparût complètement, et qu’il ne fût formellement réuni à l’empire français, comme l’étaient déjà le Piémont, la Toscane et les états de l’église. Plus d’un indice semblait justifier cette inquiétude. Le sénat, substitué au corps législatif, qu’on avait cessé de réunir, votait chaque jour des lois qui avaient pour effet de rendre la législation italienne identique à celle de la France. Le code civil, le code de procédure civile, le code d’instruction criminelle, à peine établis à Paris, étaient ainsi transportés à Milan. Les mesures de l’administration avaient le même caractère. Le régime des douanes était combiné tout entier, je ne dirai pas dans l’intérêt de la France, mais d’après le système que l’on croyait alors conforme à cet intérêt. Vainement le vice-roi s’enhardissait parfois à représenter que ce régime ruinait l’Italie et qu’il y excitait de grands mécontentemens.


« Mon principe, lui répondait l’empereur, c’est la France avant tout… Ce serait mal voir que de ne pas reconnaître que l’Italie n’est indépendante que par la France, que cette indépendance est le prix de son sang, de ses victoires, et que l’Italie ne doit pas en abuser, qu’il serait surtout fort déraisonnable d’aller calculer si la France obtient ou non quelques avantages commerciaux… J’entends mieux que personne la politique de l’Italie. Il faut que l’Italie ne fasse pas de calculs séparés de la prospérité de la France ; elle doit confondre ses intérêts avec les siens ; il faut surtout qu’elle se garde bien de donner à la France un intérêt à la réunion, car si la France y avait intérêt, qui pourrait l’empêcher ? Prenez donc aussi pour devise : la France avant tout. Si je perdais une grande bataille, un million, deux millions d’hommes de ma vieille France accourraient sous mes drapeaux, toutes