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les bourses m’y seraient ouvertes, et mon royaume d’Italie lâcherait pied… Il faut que les douanes d’Italie soient mises sur le pied de celles de France ; sans cela, je ne vous cache pas que je réunirais le royaume d’Italie. La seule considération des douanes m’a obligé à réunir la Hollande. »


Quelque temps après, Napoléon disait au vice-roi que les Hollandais étaient très satisfaits de cette réunion, qu’il n’avait vu nulle part d’aussi bons sentimens, et que son attente avait été agréablement surpassée. Deux ans ne devaient point s’écouler avant qu’une cruelle expérience ne lui démontrât son erreur. Était-elle sincère ?

La conscription n’était pas le moindre grief d’une population alors complètement étrangère aux habitudes militaires. Le royaume d’Italie compta, en quatre ans, vingt-deux mille conscrits réfractaires et dix-huit mille déserteurs. Le vice-roi représentait l’impossibilité d’appliquer en toute rigueur à quarante mille individus les peines terribles qui frappaient ce genre de délit.

Les affaires religieuses contribuaient aussi à entretenir dans les esprits le mécontentement et l’agitation. Napoléon avait espéré tout terminer en dépouillant le pape de sa puissance temporelle, en le transférant de prison en prison, et il voyait avec étonnement que la résistance du clergé n’était pas domptée, que, vaincue en apparence sur certains points, elle renaissait aussitôt sur d’autres. Il voulait absolument en finir, et lorsqu’il se croyait près d’atteindre le but, il trouvait que tout était à recommencer. Il se figurait apercevoir partout des intrigues de moines. « Mon intention, disait-il, n’est pas de me laisser insulter par cette vermine. »

On touchait cependant à une nouvelle guerre, à celle qui devait clore enfin le grand drame commencé vingt ans auparavant. Napoléon se disposait à envahir la Russie, la seule des puissances du continent qui n’eût pas encore tout à fait subi son joug. La campagne de 1812 allait commencer. L’empereur, rassemblant toutes ses forces pour cette grande entreprise qui devait couronner toutes les autres, n’ayant cette fois rien à craindre pour l’Italie, puisque l’Autriche était son alliée, voulut que l’armée italienne prît part, sous les ordres du vice-roi, à la lutte qui allait s’engager à l’autre extrémité de l’Europe. Eugène en ressentit une vive joie. Il ne paraît pas avoir été du nombre de ceux qui, à l’approche de cette lutte, éprouvèrent de sinistres pressentimens. Il doutait que les Russes osassent l’engager, il pensait qu’ils céderaient au dernier moment ; en cas de guerre, la victoire, et une prompte victoire, lui semblait certaine. Il se félicitait d’être appelé à en partager l’honneur, et il comptait bien qu’avant l’hiver il pourrait être de retour en Italie. Sa seule inquiétude, c’était que l’empereur, vainqueur des Russes et profitant de ses succès pour rétablir le royaume de Pologne, ne voulût le faire monter sur ce nouveau trône. Aussi éprouva-t-il un véritable soulagement lorsqu’il