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Les désertions se multiplièrent parmi les soldats dalmates et italiens et même parmi les Piémontais, les Génois, les Toscans, que l’on voulait considérer comme Français, parce que le Piémont, Gênes et la Toscane faisaient alors partie, non pas du royaume d’Italie, mais du grand empire. Dès les premiers jours d’octobre, le vice-roi n’avait plus à sa disposition que trente mille baïonnettes, deux mille chevaux et deux mille artilleurs. Cependant le duc de Feltre, ministre de la guerre, qui correspondait de Paris avec lui, affectait, à la manière de l’empereur, de lui croire des forces beaucoup plus considérables et lui donnait des directions en conséquence ; mais ces calculs erronés et les exigences déraisonnables dont ils étaient la base n’avaient d’autre effet que de troubler et de remplir d’amertume l’esprit du vice-roi.

Les hostilités étaient à peine commencées qu’une insurrection éclatait en faveur de l’Autriche dans les provinces illyriennes. Les troupes croates passaient en masse à l’ennemi, et le vice-roi se voyait forcé d’abandonner sa première ligne de défense pour se replier sur celle de l’Isonzo, qu’il ne devait pas garder longtemps. Les événemens se précipitaient. À mesure que l’étoile de Napoléon pâlissait, la défection gagnait ceux de ses alliés qui lui étaient jusqu’alors restés fidèles, et qui maintenant craignaient de se perdre avec lui. Le 8 octobre, le roi de Bavière se décidait à entrer dans la coalition formée contre l’empire français. Le jour même, il écrivit à son gendre, le vice-roi, pour l’informer du parti qu’il venait de prendre et auquel il avait été contraint, disait-il, par l’abandon où la France l’avait laissé. La lettre se terminait par une insinuation sur la possibilité d’un armistice entre le royaume d’Italie et l’Autriche moyennant la retraite des Italiens en-deçà du Tagliamento, et par des assurances d’amitié et d’appui dans les circonstances qui pourraient survenir. La réponse du vice-roi, datée du 15, de Gradisca, est très noble. «…Vous me connaissez assez, dit-il, pour être convaincu que, dans cette pénible circonstance, je ne m’écarterai pas un instant de la ligne de l’honneur et de mes devoirs… C’est en me conduisant ainsi que je suis certain de trouver toujours en vous pour moi, pour votre chère Auguste, pour vos petits-enfans, un père et un ami… Si la fortune m’est à l’avenir aussi contraire qu’elle m’a été favorable jusqu’à présent, je regretterai toute ma vie qu’Auguste et ses enfans n’aient pas reçu de moi tout le bonheur que j’aurais voulu leur assurer ; mais ma conscience sera pure, je laisserai pour héritage à mes enfans ma mémoire sans tache. Je ne sais pas, mon bon père, ce que votre nouvelle position vous rendra possible… N’oubliez pas votre fille et vos petits-enfans. » Le vice-roi disait ensuite qu’il était disposé à s’entendre avec les Autrichiens sur les bases d’un arrangement qui aurait fait de l’Isonzo