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et les liens de reconnaissance qui l’attachaient à Napoléon. Comme le prince de La Tour et Taxis essayait de l’émouvoir en lui parlant de ses enfans : « J’ignore, lui dit-il, si mon fils est destiné à porter un jour la couronne de fer ; mais en tout cas il ne doit y arriver que par la bonne voie… On ne peut nier que l’astre de l’empereur commence à pâlir, mais c’est une raison de plus pour ceux qui ont reçu de ses bienfaits de lui rester fidèles. » L’officier bavarois lui ayant donné à entendre que Murat paraissait disposé à traiter avec les alliés, en sorte que le vice-roi était menacé de voir bientôt un nouvel ennemi déboucher sur son flanc droit : « J’aime à croire, reprit Eugène, que vous vous trompez ; si toutefois il en était ainsi, je serais certainement le dernier à approuver la conduite du roi de Naples. Encore la situation ne serait-elle pas exactement la même : lui est souverain ; moi, je ne suis ici que le lieutenant de l’empereur. » Le prince de La Tour et Taxis ayant fini par lui demander s’il ne pourrait pas trouver quelque moyen de concilier ses intérêts avec ceux de l’empereur des Français, il répondit que tout ce qu’il pourrait admettre, ce serait un armistice de deux mois sur la ligne de l’Adige. L’envoyé bavarois parut croire que les alliés s’y prêteraient facilement ; mais ceux-ci déclarèrent ne vouloir l’accepter qu’autant que le vice-roi entrerait en négociations avec eux pour abandonner la France. Cette déclaration mit fin à tous les pourparlers. Eugène était indigné. « En quel temps vivons-nous ? écrivait-il à sa femme, et comme on dégrade l’éclat du trône en exigeant pour y monter lâcheté, ingratitude et trahison ! Va, je ne serai jamais roi ! » Le bon roi de Bavière parut presque satisfait de n’avoir pas réussi dans sa tentative d’embauchage. « Je le leur avais bien, dit ! » s’écria-t-il lorsque son envoyé lui en eut fait connaître le résultat ; puis il écrivit à sa fille : « Embrassez Eugène de ma part, et dites-lui que je le reconnais à tout ce qu’il fait et dit. Il n’existe pas deux hommes comme lui. Vous devez être bien fière d’avoir un tel mari ! »

En faisant connaître à l’empereur ce qui venait de se passer, le vice-roi lui expliqua que, s’il avait proposé un armistice, c’était à cause de l’état alarmant de l’Italie, de la mauvaise direction imprimée à l’esprit public, et parce qu’il y avait tout avantage à gagner le temps nécessaire pour organiser des renforts. Déjà il avait dû se replier, d’abord sur le Tagliamento, puis sur l’Adige. Napoléon en témoigna quelque mécontentement. De retour à Paris, où il s’efforçait de tirer de la France épuisée une nouvelle armée pour repousser la coalition, il ne se résignait pourtant pas encore à renoncer à l’Italie. Il essayait de soutenir le courage de son fidèle lieutenant par des promesses de renforts. Il lui faisait dire que Murat promettait de marcher à son secours avec trente mille hommes, ajoutant que, s’il exécutait ce mouvement, l’Italie était sauvée, attendu que