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prendre secrètement des mesures pour l’empêcher de s’emparer en passant des places fortes et pour rendre aussi difficiles que possible ses communications avec les Autrichiens.

Le vice-roi n’avait pas cessé de correspondre avec lui, et dans les lettres qu’il lui écrivait, il employait très habilement les argumens les plus propres à agir sur l’esprit d’un homme irrésolu, aussi faible dans le conseil que hardi sur les champs de bataille, entraîné par l’ambition, mais doutant encore si, même à ce point de vue, il suivait la meilleure voie, peu scrupuleux, mais qui néanmoins n’abandonnait pas sans quelque remords ses anciens drapeaux, ses compagnons d’armes, le chef auquel il devait sa couronne. Eugène, d’un ton de respect affectueux, le conjurait de ne rien précipiter, de ne pas prendre des résolutions irréparables au moment où des négociations allaient s’ouvrir pour la paix ; il faisait appel à sa loyauté pour qu’en tout cas il l’avertît d’avance du parti auquel il se serait arrêté. Murat, dont le traité avec l’Autriche venait d’être signé, mais qui ne l’avouait pas encore, parce qu’il n’était pas ratifié, lui répondit le 21 janvier par une lettre où l’on entrevoit tout ce qui se passait dans son âme. Il commençait par y expliquer les motifs qui l’avaient empêché de passer le Pô pour venir au secours du vice-roi ; c’eût été compromettre la sûreté de ses propres états, menacés tout à la fois par une grande fermentation intérieure contre le système français et par les forces anglaises et siciliennes ; il prétendait que d’ailleurs les mouvemens de son armée avaient été fort utiles à la France, puisque l’inquiétude qu’ils avaient causée à l’ennemi ne lui avait pas permis jusqu’alors de passer l’Adige. Il avouait qu’un agent autrichien était venu lui proposer de concourir au rétablissement de la paix en Europe. « J’ai dû, disait-il, écouter de telles propositions faites au nom d’un grand souverain, parce qu’elles avaient un but qui est le vœu de l’humanité, et parce qu’elles m’offraient pour mon royaume une garantie d’autant plus précieuse à mes yeux que je ne recevais du côté de la France ni les informations ni les assurances que j’étais en droit d’attendre. Toutefois, il en est temps encore, si les assurances de paix dont votre altesse impériale me fait part se réalisaient,… cet événement, qui me comblerait de satisfaction, arrêterait tout l’effet des négociations dans lesquelles je suis entré… Si au contraire les événemens m’entraînaient à séparer ma cause de celle de l’empire, la France et la postérité me plaindraient de la violence que j’aurais dû faire aux sentimens les plus chers… de mon cœur ; elles jugeraient que je n’ai pu céder qu’à mes devoirs envers mon peuple et mes enfans… Vous m’avez rendu justice en croyant que dans aucun cas je ne pourrais agir contre votre altesse impériale sans l’avoir prévenue… »