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héroïque qui l’avait illustré à une autre époque, Napoléon pensa de nouveau à appeler à lui le prince Eugène. Le ministre de la guerre écrivit, par son ordre, au vice-roi pour lui enjoindre de se porter sur les Alpes aussitôt que le roi de Naples aurait déclaré la guerre à la France, et de ne laisser dans les garnisons d’Italie que les troupes italiennes. « Votre altesse impériale, disait le duc de Feltre, doit, de sa personne, venir, avec tout ce qui est Français, sur Turin et Lyon, soit par Fenestrelles, soit par le Mont-Cenis. Aussitôt qu’elle sera en Savoie, elle sera rejointe par tout ce que nous avons à Lyon. » Quelques jours après, le 17 février, le ministre écrivit, de nouveau au prince Eugène pour insister sur une mesure que les circonstances, lui disait-il, rendaient de plus en plus urgente ; il lui exprimait l’espérance qu’en ce moment même l’armée d’Italie avait déjà commencé à exécuter les ordres antérieurs de l’empereur, qu’elle seconderait efficacement les opérations prescrites au duc de Castiglione pour attaquer le corps autrichien de Bubna, déjà maître de Genève et des Échelles, et qu’avec cet appui le maréchal pourrait se porter à travers la Franche-Comté sur les derrières de la grande armée autrichienne, qui menaçait à la fois Paris et Orléans.

Ces dépêches ministérielles sont un témoignage curieux de la confusion qui, pendant cette crise suprême, régnait dans les conseils du gouvernement impérial. Le prince Eugène n’y est autorisé à évacuer l’Italie que dans le cas où les Napolitains déclareraient formellement la guerre à la France, et cependant on lui prescrit de prendre part, sur le territoire français, à des opérations combinées qui n’ont rien d’éventuel. Une telle contradiction le plaçait dans un grand embarras : quelque parti qu’il prît, il pouvait craindre de se voir désavoué, soit comme ayant perdu l’Italie, soit comme ayant refusé son concours pour la défense de l’empire.

Un trait non moins caractéristique de la situation, parce qu’il fait comprendre à quel point Napoléon sentait le déclin de sa puissance morale, c’est que, se défiant, à ce qu’il paraît, des dispositions du vice-roi, ou du moins croyant avoir besoin de stimuler son zèle, au lieu de lui envoyer directement un de ces ordres absolus, une de ces réprimandes foudroyantes que peu de mois auparavant il lui eût fait parvenir à la moindre apparence d’hésitation de sa part, il crut devoir recourir à l’impératrice Joséphine pour la prier d’exercer sur lui son influence maternelle. Les documens que nous avons sous les yeux ne nous font pas connaître en quels termes, dans quelle forme Napoléon réclama l’intervention de cette princesse. Nous ne pouvons nous en faire une idée que par la lettre qu’elle s’empressa d’écrire à son fils le 9 février. En voici quelques passages : « Ne perds pas un instant, mon cher Eugène ; quels que soient les obstacles, redouble