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atroces ; ils furent très fermes et très dignes. La garde nationale, admirable de dévouement, se multipliait pour les protéger. Les officiers garibaldiens qui les conduisaient perdirent parfois patience et tombèrent à coups de plat de sabre su, cette canaille vociférante, dont la vraie place eût été aux-avant-postes. Les Bavarois, reconnaissables à leur face blonde et épatée, furent exposés plus que les autres, et il fallut parfois faire plus que le coup de poing pour les arracher aux mains impies qui les tenaient déjà. Grâce à l’extrême vigueur des officiers et à l’attitude de la garde nationale, nul malheur ne fut à déplorer ; mais, je n’oublierai jamais de quel dégoût je fus saisi en voyant ces hommes désarmés, qui après tout avaient fait leur devoir, vilipendés par une cohue immonde qui au premier coup de fusil se serait enfuie comme une bande de corbeaux. On prit plus de précautions à l’avenir ; les transports des prisonniers, qui étaient obligés de traverser la ville pour gagner les forts, se firent de très grand matin ou pendant la nuit. Pour éviter de si regrettables scènes, on poussa même la prudence jusqu’à faire déguiser les Bavarois et les Suisses ; on les habillait pour la plupart en Calabrais. L’idée était bonne, car sous le chapeau pointu ils avaient une si singulière et grotesque figure qu’elle eût désarmé les plus implacables colères.

Ce n’est pas que le peuple napolitain soit malfaisant ou cruel ; il est ignorant, très spirituel et prodigieusement facile à toute émotion. Son imagination l’emporte très loin ; mais, lorsque l’instant de l’action arrivé, le côté nerveux de sa nature reprend le dessus et trop souvent le condamne à l’immobilité. C’est un peuple d’enfans qui aime à changer de joujoux, quitte à leur ouvrir le ventre pour voir ce qu’il y a dedans. En somme, c’est encore Polichinelle qu’il aime le mieux. Il est taquin, et, quand il veut s’amuser, ne recule devant aucune inconséquence. Pour taquiner Garibaldi, il criait : Vivent les Piémontais ! Pour taquiner les Piémontais, il criait : Vive Garibaldi ! Enfantillage et rien de plus. Il est, malgré l’ignorance profonde où il a été renfermé, assez intelligent pour comprendre qu’il vient de franchir un pas énorme et pour s’en contenter. Je ne parle que du peuple et non point de la bourgeoisie, qui est généralement instruite, éclairée, curieuse d’apprendre, mais d’une défiance excessive, qu’explique l’état de suspicion où elle a été tenue sous les derniers règnes.

Le peuple s’amusait beaucoup, tout lui devenait un sujet de curiosité ; les bourdes les plus étranges passaient pour vérités mathématiques, et l’on se racontait tout bas avec épouvante qu’on avait découvert heureusement et interrompu un souterrain que François II faisait creuser de Capoue jusqu’à Naples pour pouvoir reprendre sa