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conseillers se montrèrent également convaincus de sa bonne foi et de la droiture de ses intentions.

En ce moment, le succès de la tentative de Napoléon était encore incertain ; quelques jours après, il ne paraissait plus douteux. Le 19 mars, le prince Eugène écrivait à sa femme : « On regarde déjà les Bourbons comme perdus et l’empereur Napoléon de nouveau sur le trône. On ne pense qu’à la haine personnelle qu’on lui portait, et, sans trop savoir si c’est bonne ou mauvaise politique, on se prépare à porter de nouveaux coups en France. Moi, je reste calme au milieu de cet orage ; je demande un sort pour mes enfans, et je ne servirai jamais contre mon ancienne patrie. »

Le lendemain du jour où cette lettre fut écrite, Napoléon, on le sait, entrait à Paris. Eugène put bientôt s’apercevoir que les soupçons qui s’étaient élevés contre lui n’avaient dissipés qu’en apparence. Il sut qu’au moment même où, suivant ses expressions, on l’accablait de politesses et de protestations d’estime, on doublait autour de lui le nombre des espions, dont quelques-uns passaient la nuit dans un fiacre devant sa porte. Des courriers qui lui apportaient des lettres de Munich furent arrêtés, ces lettres saisies. S’il faut en croire un récit qui pourrait bien n’être que l’exagération des faits que je viens d’indiquer, la position du prince Eugène aurait même pris un moment un caractère assez menaçant. La police wurtembergeoise aurait intercepté deux lettres que lui écrivaient de Paris, par une occasion particulière, la reine Hortense et M. de Lavalette, et qui étaient naturellement conçues dans un sens favorable à la révolution du 20 mars ; le congrès, en ayant pris connaissance, aurait cru y trouver la preuve de la complicité de l’ancien vice-roi dans cette révolution ; l’empereur Alexandre se serait vu assailli de remontrances et même de reproches sur les rapports intimes qu’il continuait à entretenir avec un homme qui trahissait les intérêts de l’Europe. Tout étourdi de ces reproches, Alexandre aurait envoyé au prince un de ses aides-de-camp de confiance, Czernicheff, qui, en lui remettant les lettres ouvertes dans le congrès, lui aurait déclaré qu’après ce qui venait de se passer, l’empereur était obligé de rompre toutes communications avec lui. Eugène, d’abord consterné, se serait rassuré après avoir pris connaissance des lettres qu’on lui remettait toutes décachetées ; il se serait rendu chez l’empereur, qui, les relisant froidement et à tête reposée, lui aurait avoué qu’il n’y trouvait rien de ce que le congrès avait cru y voir, l’aurait embrassé et aurait promis de lui faire rendre justice.

Ce récit, je le répète, me paraît inexact et exagéré, et il ne concorde pas avec la correspondance que j’ai sous les yeux. On y trouve bien une lettre dans laquelle le prince Eugène, ayant appris par le général Czernicheff qu’il doit renoncer aux témoignages flatteurs de