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bondissent, et que les petites mains frappent l’une contre l’autre avec fureur. Le moyen en effet de ne point tomber en extase devant des palais d’eau naturelle qui jaillissent tout à coup dans l’air avec des merveilles d’architecture telles qu’on n’en a vu que dans les contes des Mille et une Nuits, des feux de Bengale aux mille couleurs, des femmes immobiles et posées comme des bouquets de fleurs artificielles sous des globes de verre, tandis que d’autres flottent de nuage en nuage et répandent à pleines mains une pluie d’or dans un ciel d’opale ? Quelques Anglais s’élèvent d’ailleurs avec feu contre cette opinion que la pantomime soit faite seulement pour les enfans. À les entendre, nous avons tous un coin du cœur et de l’imagination qui reste jeune. La vérité est que j’ai vu aux représentations qui ont lieu pendant la journée beaucoup d’hommes graves et de vieillards qui semblaient prendre à ces contes de Peau d’Ane en action un plaisir extrême. « Ce qui fait, me disait l’un d’eux, le grand charme de la pantomime, ce sont les souvenirs d’enfance qu’elle réveille et les rêves bleus qu’elle a répandus sur notre sommeil dans un âge où l’on dort si bien. Elle nous parle d’un temps où nous avions notre père et notre mère, d’un temps où l’on croyait à tout, à la terre des fées, aux nains, aux géans, où l’on se figurait Colombine comme la plus belle des femmes et le clown comme le plus heureux des hommes. En l’applaudissant, c’est notre vie même que nous applaudissons, ou du moins la meilleure partie de notre vie qui n’est plus. Le secret de la durée de notre pantomime est dans les émotions de famille qu’elle renouvelle. On aura beau dire, l’Anglais ne se passera pas plus de pantomime qu’il ne se passe de plum-pudding à Noël, car l’une et l’autre sont pour lui comme les anneaux d’or de cette chaîne que vous appelez la mémoire du cœur. »

Quoique la pantomime représente surtout le côté de la fantaisie, elle offre un autre genre d’intérêt au point de vue commercial. Sans elle, beaucoup de théâtres de Londres ne pourraient pas vivre. Le temps de Noël est appelé dans le monde dramatique le temps de la moisson, et plus d’une fois cette moisson s’est montrée féconde en gerbes d’or. Le plus ou moins de succès des pantomimes passe même à Londres pour un thermomètre à l’aide duquel on peut évaluer l’état de la prospérité publique. Quand le théâtre ne va pas dans cette saison de l’année, rien ne va. à la fin de 1860 et au commencement de 1861, la recette n’a point répondu aux espérances des directeurs de théâtres, qui avaient presque tous hasardé sur les Christmas entertainments des sommes énormes. On a donné de ce fait plusieurs raisons, une température sévère qui retenait les familles au coin du feu, d’abondantes charités qui avaient épuisé la bourse des habitans de Londres, la grande concurrence des divertissemens