Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/852

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

surtout par les traditions de la scène britannique, est le jeu de la physionomie et le don de se transformer âme et corps, comme on dit, en un autre personnage. On raconte que Hogarth et Garrick, étant un jour assis tête à tête dans une taverne de Londres,, exprimaient entre eux le regret que l’on n’eût point un portrait de Fielding. « Je pense, dit Garrick, que je pourrais imiter sa figure, » et il se mit aussitôt à faire son ancien ami. « David, s’écria Hogarth, au nom du ciel, ne bouge pas ; reste comme tu es là pendant quelques minutes, » et l’artiste, saisissant son crayon, dessina le croquis du seul portrait de Fielding, — celui qui figure en tête de la plupart des éditions de Tom Jones. Cette faculté était si merveilleuse que plus d’une fois au théâtre Mme Garrick elle-même ne reconnaissait point son mari. Le chien seul de Garrick ne se laissait point prendre aux déguisemens, et témoignait dans la loge par un éclair de joie que son maître était en scène. On m’a parlé d’un autre acteur anglais qui avait inventé plusieurs manières comiques de tourner le nez, et dont chacune faisait rire les spectateurs.

Parmi les acteurs vivans qui soutiennent la comédie anglaise à une hauteur respectable se distinguent, outre Buckstone et Robson, dont j’ai parlé, Charles Mathews, Toole, qu’il faut voir„ surtout dans Bob Cracket et dans le Distracted Manager (le Régisseur qui a perdu la tête), Compton, Rogers, Murray, David Fisher et Paul Bedford, qui n’est plus aujourd’hui que la moitié de lui-même ; l’autre moitié était Wright, un burlesque de premier ordre qui l’accompagnait presque toujours sur la scène, mais qui est mort il y a deux ou trois ans. Je ne veux m’arrêter d’ailleurs qu’à Charles Mathews, qui suffit à lui seul pour donner une idée du comédien anglais. Charles Mathews est le fils d’un acteur du même nom qui avait un talent prodigieux pour contrefaire la voix de différentes personnes, et sur lequel on raconte une foule d’aventures. Par une noire nuit de décembre, telle qu’il n’en existe peut-être qu’en Angleterre, le célèbre artiste avait été placé tout seul, et bien malgré lui, sur l’impériale d’une diligence qui allait d’Exeter à Plymouth. À peine le coche fut-il en route que la pluie se mit à tomber, une pluie froide et pénétrante. Charles Mathews le père n’avait ni manteau ni parapluie ; il résolut dès lors d’avoir recours à ses talens mimiques pour obtenir une place dans l’intérieur de la voiture. D’abord il fit semblant de bercer et de caresser dans ses bras un enfant dont les cris de plus en plus perçans arrivèrent, malgré le bruit des roues, aux oreilles des voyageurs qui étaient à couvert. Il se trouva parmi eux deux femmes, dont l’une était mère et dont l’autre était sur le point de le devenir. « Dieu ! s’écrièrent-elles, un enfant par le temps qu’il fait sur le toit de la diligence ! » L’une d’elles abaissa la vitre, et, avançant la tête dans le ciel noir et humide : « Ma bonne femme,