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toute religieuse, si la loi et les prophètes consistent, ainsi que dit le Christ, à aimer son prochain comme soi-même. Il est pourtant bien vrai que la chaire a dénoncé de temps en temps les tendances pernicieuses de la nouvelle école dramatique ; mais après tout les clergymen, en agissant ainsi, usaient d’un droit qui appartient à tout critique et à tout moraliste. On peut même dire qu’ils faisaient preuve de sollicitude envers une branche de l’art qu’ils cherchaient à relever et non à proscrire. La profession théâtrale a d’ailleurs un bouclier qui la couvrirait au besoin contre d’injustes attaques. Il ne faut pas perdre de vue que, dans la Grande-Bretagne, la reine est la tête du pouvoir spirituel ; or la reine, — et elle a bien raison, — protège les acteurs. L’état, on l’a vu, ne subventionne pas les théâtres ; mais le chef de l’état montre sa prédilection pour certains acteurs ou pour certaines pièces en fréquentant les théâtres qui lui semblent dignes d’intérêt. On a même remarqué que la reine ne regardait point sous ce rapport à l’importance de la salle. Sa présence exerce en pareil cas une influence considérable sur le succès de la troupe, et par plus d’un côté équivaut presque à une subvention. À combien d’Anglaises par exemple ai-je entendu dire que Colleen-Bawn devait être une bien belle chose, puisque la reine était allée la voir trois fois à l’Adelphi Theatre ! Il existe d’ailleurs au château de Windsor un théâtre particulier, où vont jouer successivement devant la cour les meilleurs acteurs et les meilleures actrices des théâtres de Londres.

Est-ce à dire pourtant que le théâtre en Angleterre n’ait point d’opposition à essuyer de la part de certaines idées religieuses ? Telle n’est certes point ma pensée : il faut distinguer dans le protestantisme anglais deux tendances bien tranchées, l’une nationale, et l’autre qu’on peut rapporter aux docteurs de Genève. Les vieilles rivalités des cavaliers et des têtes-rondes, de l’église haute et de l’église basse, ne se sont point éteintes, il s’en faut de beaucoup, dans la patrie de Cromwell. L’ancien levain de puritanisme me paraît surtout s’être réfugié, en ce qui regarde les théâtres, dans les sectes de méthodistes, hommes austères et respectables sans doute, mais à vues courtes et à préjugés tenaces. Une des plus vives diatribes contre l’art dramatique a même été lancée tout dernièrement par un prédicateur célèbre, M. Spurgeon, qui appartient à une autre branche de dissidens, connus en Angleterre sous le nom de baptists. Comme M. Spurgeon est un prédicateur éloquent, mais qui emprunte plusieurs de ses effets à l’action théâtrale, on s’est demandé s’il n’entrait point dans ses attaques un peu de jalousie de métier[1]. Un fait nouveau me paraît néanmoins de nature à

  1. Un acteur anglais s’est vengé spirituellement de M. Spurgeon en le jouant tout vif sur la scène. Buckstone, dans le Black Sheep, reproduit si bien la voix, les manières et pour ainsi dire la figure du célèbre prédicateur, que toute la salle le reconnaît à l’instant même.