Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/858

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

réconcilier les anciennes inimitiés de la chaire et du théâtre. Depuis quelques années, l’habitude s’est introduite à Londres de louer les salles de spectacle à certains chefs de congrégations pendant la journée du dimanche. Qui s’est élevé contre cette innovation ? — Les sectes religieuses ? Non vraiment ; l’opposition est venue le plus souvent des acteurs, qui, sans doute irrités par d’anciens souvenirs, demandèrent de quel droit les ministres de la parole évangélique venaient envahir le domaine de la scène. « Était-ce bien, s’écrièrent-ils, aux fils des anciens puritains qu’il convenait de s’installer dans des lieux dénoncés par leurs pères ainsi que des antres d’infamie ? » Comme les directeurs trouvaient toutefois un avantage matériel à ne point laisser chômer leur salle le septième jour, ils ont pour la plupart conclu volontiers ces sortes de marchés. Aujourd’hui un assez grand nombre de théâtres de Londres se convertissent en églises le dimanche matin et le dimanche soir. Passant, il y a quelques jours, dans Shoreditch, devant le City Theatre, je fus arrêté par deux affiches qui frappèrent mes regards : l’une était l’affiche du spectacle de la semaine, l’autre était celle du service religieux qui se célébrait dans ce moment-là. Je connais même un Français qui, étant de passage à Londres et trouvant le dimanche fort ennuyeux, allait cherchant dans les rues quelque lieu de divertissement, quand, à sa grande surprise, il vit un théâtre ouvert. Il s’y glissa plein d’espoir ; mais, comme il ne savait pas un mot d’anglais, il se fit une idée assez vague de la représentation à laquelle il assistait. Tout ce qu’il conclut en sortant, c’est qu’il y avait trop peu de mise en scène, et que la tristesse du dimanche à Londres déteignait sans doute, ce jour-là, jusque sur les théâtres. Malgré les objections qu’on peut faire à ce mélange du sacré et du profane, je regarde volontiers le prêche dans les théâtres comme une innovation heureuse. La scène ne devient-elle point ainsi un terrain neutre sur lequel tendent à se rapprocher deux partis, dont l’un autrefois a détruit les salles de spectacle en Angleterre ? L’hospitalité que le théâtre accorde maintenant aux sectes religieuses ne doit-elle point leur apprendre que c’est une mauvaise politique de brûler la maison d’un voisin ou même d’un ennemi ? On peut un jour ou l’autre en avoir besoin pour soi-même.

L’année dernière, une comédie intitulée le Monde et le Théâtre (the World and the Stage) fut représentée à Haymarket, et n’obtint, malgré des situations assez touchantes, qu’un succès médiocre. La raison de cet échec est facile à saisir ; la pièce, étant un plaidoyer contre les injustices de l’opinion en ce qui regarde les acteurs et les