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autrefois à la troupe du Covent-Garden Theatre. Ces actrices anoblies par mariage quittent immédiatement les planches et honorent, dit-on, par leur conduite la nouvelle condition qui leur a été faite dans la société. Parmi les comédiennes anglaises qui continuent de jouer sur la scène, plusieurs aussi sont mariées à des médecins, à des hommes de lettres ou à des artistes. Le plus grand nombre d’entre elles retiennent leur nom de miss sous lequel le succès les a en quelque sorte fiancées au public. C’est ainsi qu’une des plus brillantes actrices du drame moderne et l’une des femmes du monde les plus accomplies, miss Wolgar, est Mme Mellon, l’épouse d’un des premiers musiciens de Londres. Il y a d’un autre côté beaucoup d’acteurs qui s’unissent à des actrices. Dans ce dernier cas, la femme prend le nom du mari et paraît avec lui sur la scène. Un de ces mariages entre acteur et actrice fut, il y a quelques années, l’occasion d’un événement tragique. Un jeune acteur assez pauvre, Crouther, avait réussi à gagner les bonnes grâces de miss Vincent, manageress du Victoria Theatre, belle, riche et menant un grand train dans Londres. Ils furent mariés ; mais, avant même de quitter l’église, l’acteur donna des signes non équivoques d’aliénation mentale. On attribua son délire à différentes causes : les uns présumèrent que c’était le changement de fortune qui lui avait tourné la tête ; d’autres affirmèrent qu’il avait dans un coin du cœur une autre affection qui le poursuivait comme un remords. Miss Vincent est morte depuis ce temps-là ; mais son mari vit encore, je crois, dans une maison de fous, lunatic asylum.

Un autre épisode conjugal fit grand bruit dans une ville d’Ecosse, et peut donner une idée du roman de la vie de théâtre en Angleterre, Ce soir-là, on jouait à l’Adelphi Theatre de Glasgow la Bataille de Sedgmoor, dans laquelle une actrice aimée du public, mistress de Bourgh, remplissait avec succès l’un des principaux rôles. Au moment où elle entrait en scène, un homme de haute taille, avec des airs militaires, se leva plusieurs fois au milieu du parterre sous le coup d’une agitation d’esprit bien visible, et enfin s’écria : « Ma femme ! par le ciel, ma femme ! » Les spectateurs autour de lui ne savaient que penser, surtout quand ils virent l’actrice s’évanouir. La représentation continua néanmoins ; mais durant un entr’acte M. Miller, alors directeur du théâtre, vint aborder l’inconnu qui l’avait troublée. « Cette actrice, lui dit-il, est engagée depuis trois ans dans mon corps dramatique, et, comme directeur, je dois protéger la réputation des membres de ma troupe. Je n’ai point l’honneur de connaître votre nom ; mais elle ne saurait être votre femme, car elle était mariée à un M. de Bourgh que j’ai vu mourir. — Je suis le lieutenant Lewis, reprit l’homme à la tournure militaire et au teint basané. Il m’est pénible d’apprendre que ma femme ait été mariée à un