Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/862

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

autre ; mais c’est un peu ma faute, ou du moins celle de notre étoile. En tout cas, j’ai besoin de la voir. » L’entrevue eut lieu en effet ; il résulta de leurs explications mutuelles que le lieutenant Lewis ne s’était point trompé : ils avaient été mariés très jeunes en Angleterre ; Lewis était alors un simple soldat, et la future mistress de Bourgh une débutante sur la scène. La naissance d’un enfant vint couronner leur union. Sur ces entrefaites, le régiment avait reçu l’ordre de partir pour les îles lointaines. En vain le jeune soldat demanda-t-il à emmener sa femme avec lui sur le navire : le nombre des permissions étant limité, il obtint seulement comme une faveur de ne point se séparer de son fils, qui avait alors trois ans. Le vaisseau partit, et durant une période de dix-neuf ans, par une négligence ou une fatalité qu’il est difficile d’expliquer, le mari et la femme n’entendirent plus parler l’un de l’autre. Leur fortune cependant avait beaucoup changé : le simple soldat s’était élevé par son courage et par sa bonne conduite au rang de lieutenant dans l’armée. Consolé par la société de son fils, il n’avait point songé à reprendre femme, quoiqu’il se crût bien veuf. L’actrice, qui avait fait de son côté des progrès au théâtre, ayant entendu dire que son mari avait été tué dans une bataille, s’était au contraire remariée. Son second mari était mort depuis dix-huit mois. Quant au lieutenant Lewis, il venait en ligne directe de Liverpool, où un navire de guerre l’avait enfin ramené dans son pays. Les anciens époux se remarièrent dans une chapelle de Glasgow, et Mme Lewis résolut de quitter la scène ; mais auparavant elle annonça sur l’affiche du théâtre une représentation d’adieu. Le lieutenant Lewis, qui avait quelque talent dramatique, joua lui-même ce soir-là le rôle de Jaffier dans Venise sauvée (Venice preserved). La salle était comble, car l’aventure avait ému toute la ville, et la représentation au bénéfice de l’actrice produisit beaucoup d’argent. Le lendemain, M. et Mme Lewis s’étaient retirés à Liverpool.

Le caractère des acteurs anglais a été tour à tour attaqué et loué outre mesure selon le point de vue auquel se plaçaient les moralistes. Je ne m’attacherai qu’aux faits. Les statistiques criminelles sont décidément en faveur du théâtre. Aucun membre de la profession n’a comparu devant les tribunaux de la Grande-Bretagne pour des actes graves, et surtout la main du bourreau ne s’est jamais étendue sur un comédien. Faut-il en conclure que les acteurs d’outremer soient exempts de défauts ? Ce ne serait point l’avis des anciens directeurs, qui reprochent surtout aux comédiens anglais l’esprit d’indépendance et la vanité. On dira peut-être que ce sont des traits de caractère par lesquels les acteurs se font reconnaître dans tous les pays ; mais en Angleterre ils forment une classe indépendante chez un peuple indépendant, et montrent de la vanité chez une nation trop fière pour être vaine. à la première de ces dispositions d’esprit