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des tableaux de l’ancienne école française quelques-unes des toiles auxquelles les maîtres de l’école contemporaine avaient dû leurs premiers succès, ou bien encore une exposition posthume, consacrée tout entière à l’histoire d’un talent, représentait dans leur ensemble les travaux, les progrès successifs de l’artiste que la mort venait de frapper. Les choses ont changé depuis lors : ce sont des œuvres toutes récentes, des tableaux envoyés directement de l’atelier où ils ont été peints, de la galerie où ils entraient hier, qui viennent maintenant peupler ces succursales du Salon, parfois même les enrichir de telle sorte qu’il y a là non plus un danger de rivalité, mais un désavantage manifeste pour les expositions officielles. Celle qui attire la foule aujourd’hui au palais des Champs-Elysées aura beau étaler ses quatre mille toiles, sujets dessinés ou morceaux de sculpture : le grand événement de l’année 1861 dans le monde des arts n’en restera pas moins l’apparition des dessins et du tableau que M. Ingres a exposés ailleurs. Si, au lieu du demi-jour, le maître avait voulu accepter la pleine lumière et s’emparer des regards de tous, si cette figure exquise, une Source, si ces admirables portraits dessinés, au lieu de consacrer des murs affermés à une entreprise particulière, avaient récompensé l’hospitalité offerte par l’état, le succès n’aurait pas été mieux mérité sans doute, mais il aurait acquis une signification moins personnelle. Il se serait plus utilement confondu avec le mouvement du goût, avec les progrès mêmes de notre école.

De deux choses l’une en effet : ou les enseignemens qui ressortent d’un chef-d’œuvre doivent, soit par l’autorité du contraste, soit par une certaine analogie avec les ouvrages environnans, faire justice des tentatives mauvaises et encourager les efforts sérieux : alors la publicité ne saurait être trop vaste, ni le secours donné de trop près ; ou bien ce chef-d’œuvre empruntera un surcroît d’éloquence au silence de tous et persuadera d’autant plus sûrement le regard qu’il lui parlera seul. Alors pourquoi ne pas l’isoler complètement ? pourquoi le laisser s’aventurer en compagnie, moins nombreuse il est vrai, mais non pas mieux choisie que celle qui l’avoisinerait au Salon ? Pourquoi, en un mot, cette demi-publicité dont les inconvéniens seront tout aussi réels et les bons résultats forcément plus restreints que les inconvéniens ou les avantages de la publicité qu’on rencontrerait ailleurs ? Les expositions de tableaux modernes ouvertes en dehors du Salon ont ce double défaut, de donner aux travaux supérieurs une popularité insuffisante et d’exagérer au contraire, par la facilité même du spectacle, l’importance des travaux secondaires. Elles promettent un abri aux artistes médiocres, dont elles stimulent la fécondité, elles nous intéressent surtout aux petits talens et aux petites choses : elles achèvent ainsi de nous désaccoutumer du beau,