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sur ce point la fixité de ses croyances. Avouons toutefois qu’il ne lui était pas arrivé encore de les formuler aussi adroitement. Si chiffonnés qu’en soient les formes et le style, le portrait d’une jeune femme debout, enveloppée d’une mante noire, a dans la physionomie, dans le ton, de l’agrément et de la finesse. Ce n’est pas là, tant s’en faut, l’œuvre d’un talent informé du beau, ni même curieux d’en étudier les conditions ; c’est au moins la preuve d’une aptitude particulière à s’assimiler le joli.

Le Réveil du Printemps par M. Faustin Besson, la Nymphe du Printemps par M. Voillemot, bien d’autres Printemps et d’autres Nymphes achèvent de représenter au Salon ces fantaisies calculées, ces contrefaçons d’une ancienne manière très conventionnelle en elle-même, mais à laquelle on pourrait trouver une excuse dans les goûts généraux du XVIIIe siècle, dans la parfaite bonne foi des premiers coupables. Il est difficile d’avoir la même indulgence pour l’école qui prétend ressusciter ce passé. Ceux qui se sont voués à une pareille tâche pèchent sciemment. Ils ne subissent pas en dépit d’eux-mêmes l’influence de l’atmosphère où ils vivent, ils s’isolent volontairement de tout progrès, ferment les yeux aux bons exemples qu’on leur donne, et se confinent dans un milieu où ils travailleront de parti-pris à s’approprier des erreurs. De là cette facilité factice, cette forfanterie préméditée que respirent la plupart des œuvres conçues et exécutées aujourd’hui en vertu de ce système. On dirait volontiers que les négligences y sont pénibles et que l’extravagance du style y est un effort de la volonté. Tout se passait d’une autre façon au dernier siècle. Nous ne parlons même pas d’un franc inventeur comme Watteau, ni d’un vrai maître comme Chardin, ni de tant de portraitistes habiles qui se sont succédé en France depuis la mort de Rigaud jusqu’à celle de Duplessis : nous n’opposons aux imitateurs que les modèles qu’ils ont choisis eux-mêmes, Boucher, Natoire et leurs pareils. Chez ceux-ci du moins, l’habitude du mensonge, si impudente ou si invétérée qu’elle soit, n’exclut pas une sorte de bonne grâce naturelle, d’innocence pour ainsi dire. À les voir si lestes dans leurs allures, si confians en apparence et si sourians, on sent qu’ils ont, malgré tout, la conscience en repos, et qu’en agissant comme ils agissent, ils croient presque faire acte de vertu. Chez les Boucher de notre temps au contraire, le sourire est bien près de n’être qu’une grimace, l’extérieur de la confiance qu’une affectation ou une hypocrisie. Qu’ils fassent mine d’oublier ce que leur ont appris les révolutions survenues dans l’art français depuis cent ans, qu’ils profitent d’un caprice de la mode pour nier les progrès accomplis de nos jours par de bien autres maîtres que ces jongleurs pittoresques qu’ils prétendent réhabiliter, — libre à eux,