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ne croit. L’art délicat et instinctif de Mme Swetchine était de rechercher et de dégager ce christianisme épars et latent dont sont imbues les opinions mêmes qui croient s’en écarter le plus.

Je voudrais donner un exemple de ce procédé conciliant, qui n’était chez elle l’effet d’aucune tactique, mais simplement de la hauteur de vues où l’avait portée sans efforts le travail réfléchi de ses convictions. Un traité de quelques pages, publié par M. de Falloux, porte ce titre, qui serait ambitieux, si l’idée d’une publicité quelconque avait pu traverser un instant la pensée solitaire qui l’a conçu : le Christianisme, le Progrès et la Civilisation. Cette ébauche n’a rien de très remarquable par la forme. Mme Swetchine a eu souvent, et sur des sujets peut-être plus appropriés à une main féminine, l’expression plus heureuse ; mais quelques lignes donneront l’idée de la place qu’avait su prendre d’elle-même une élève de M. de Maistre dans le vieux débat qu’on ne cesse d’attiser sous nos yeux entre les progrès de la civilisation moderne et les principes de l’église catholique. C’était un sujet qui revenait sans cesse dans le salon de Mme Swetchine, que chaque incident politique réveillait, et qui menaçait à chaque instant de mettre le feu aux élémens divers et assez inflammables qui s’y rencontraient. Mme Swetchine intervenait alors, non pour mettre les plaideurs d’accord (au temps seul appartient une telle œuvre), mais pour montrer cet accord déjà opéré dans son esprit et sa sympathie acquise à toutes les idées généreuses qui se rangeaient sous l’un et l’autre drapeau.


« On oppose souvent, dit-elle, au chrétien les progrès ou les bienfaits attribués à la philosophie du XVIIIe siècle. Voici, selon moi, ce que les chrétiens doivent avoir le courage de s’avouer à eux-mêmes ou de répondre… La philosophie du XVIIIe siècle est une période durant laquelle on a laissé les ennemis du christianisme tirer le corollaire des vérités sociales renfermées en puissance, comme les vérités de tout ordre, dans le sein de l’église. Les théories humanitaires du siècle dernier n’ont fait jaillir qu’une portion de ce qui était latent dans le christianisme. Les philosophes n’ont qu’essayé d’étendre à la société ce qui jusque-là avait été appliqué surtout à l’individu. Ils ont tenté d’agrandir le cercle et d’élargir le précepte, mais ils n’ont jamais promulgué, en fait de vérités, que des idées puisées à la source du christianisme et empreintes de son esprit. Comment la société chrétienne s’est-elle laissé devancer ainsi par ceux qui en même temps enfonçaient le poignard dans le sein qui les avait nourris ? Ne dirait-on pas des fils insoucians et ingrats qui laissent piller l’héritage de leur père par ceux-là mêmes qui l’outragent ?… Ce que les philosophes à leur tour ne peuvent nier, c’est l’identité de leurs maximes avec l’esprit du christianisme. Ce qu’ils prenaient ou donnaient pour des vues originales n’était le plus souvent que des déductions tirées des principes déposés dans leur cœur par leur éducation première ; ce qu’ils venaient annoncer se rapprochait de ce que le Christianisme a toujours eu pour mission d’introduire dans le monde, comme ces