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d’une justice rigoureuse, mais par-là même écrasante. Elle entrait doucement dans chacune des fantaisies de la pauvre enfant, consentant à les discuter quand elle ne pouvait pas les satisfaire. « Je vous en prie, écrivait-elle à une amie commune, dites à Périsse qu’elle s’en rapporte à moi : sa nouvelle chambre sera au moins aussi jolie que l’autre. Qu’elle me laisse seulement le temps de l’arranger… Sa cheminée fume, à ce qu’elle me dit. Vraiment je n’y puis rien ; cette cheminée est excellente et en bon état : elle est faite à la manière suédoise, la seule que la pièce comporte. C’est mon mari qui, dans le temps, l’avait commandée pour lui-même, et si elle fume quelquefois, ce qui arrive à toutes les cheminées de ce monde, cela ne peut tenir qu’à une certaine direction du vent ou au long intervalle resté sans l’allumer. » Nous voilà bien loin, convenons-en, du temps où saint François de Sales recommandait à une de ses pénitentes, fort avancée dans les voies de la dévotion, de s’exercer chaque matin à l’humilité en appelant sa servante ma mie. Je ne sais, mais cette bonté patiente, qui traite avec égard même les caprices d’un être sans défense, m’émeut plus vivement que beaucoup d’actes de charité plus éclatans dont la postérité chrétienne a gardé mémoire. Une grande dame du XVIIe siècle aurait fondé un hospice de ses deniers, et peut-être fini par s’y choisir elle-même une cellule ; mais de savoir si les chambres de ses gens étaient plus ou moins heureusement disposées et si les cheminées y fumaient (en supposant qu’il y eût des cheminées), l’idée ne lui serait pas venue d’y songer. La modicité des fortunes de nos jours ne permet plus ces déploiemens de fastueuse munificence dans lesquels se complaisait la charité d’autrefois. La nôtre a nécessairement des allures plus modestes et plus bourgeoises. Le remède est de faire ainsi que Mme Swetchine et de compenser la diminution des largesses matérielles par un surcroît de délicatesse morale. Si à tomber de moins haut la charité gagne d’être plus affectueuse, de faire vivre dans des relations plus familières les bienfaiteurs et les obligés, ce n’est pas l’Évangile, j’en suis sûr, qui trouvera que nous ayons perdu au change.

Cette même simplicité de nos habitudes fut peut-être ce qui permit à Mme Swetchine de donner un autre exemple sans analogue, je crois, dans les annales de la dévotion chrétienne : ce fut d’arriver au degré de piété le plus avancé et, pour parler le langage propre, le plus intérieur, en continuant au dehors à peu près la vie commune d’une femme du monde. La mesure où la vie du monde est compatible avec la dévotion, c’était, on le sait, un des problèmes favoris de cette partie de la science des âmes si souvent pratiquée et professée au XVIIe siècle sous le nom de direction. Les directeurs en renom étaient partagés sur ce point en opinions et même en