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écoles très opposées. Port-Royal tout entier, M. de Saint-Cyran et M. Singlin en tête, accoutumés à trancher au vif et à mettre la nature humaine au régime, ne toléraient aucun partage entre le monade et la piété. Leurs illustres adversaires proposaient des plans d’accommodement dont plusieurs ne furent point heureux, à vrai dire, à Versailles, dans une atmosphère de frivolité et de faste, entre les puérilités de l’étiquette et les intrigues de l’OEil-de-Bœuf, une femme pieuse, obligée de se farder dès le matin et de quitter l’éducation de ses enfans et le soin de son foyer domestique pour loger dans quelque galetas doré, devait éprouver un peu de trouble de conscience. La chapelle de ce beau lieu, contiguë et toute semblable à son théâtre, m’a toujours paru l’endroit le moins fait pour y prier Dieu. Quand le monde était un maître si exigeant, je comprends qu’on prît au plus vite sa course pour le fuir ; mais était-ce bien le monde que le salon ou tous les soirs Mme Swetchine recevait des amis dont la tendresse remplaçait pour elle la famille dont l’exil l’avait privée ? Assurément ce n’était pas le monde tel que l’Évangile l’entend et le condamne, mais ce n’était pas non plus la retraite. Des meubles choisis avec goût, des statues, des tableaux de maîtres, des objets d’art, l’éclat des lumières, les journaux, les recueils, les publications nouvelles, et plus que tout une conversation dont l’incident du jour faisait ordinairement les frais, enlevaient à cette aimable demeure jusqu’à l’ombre d’une apparence monastique. M. de Falloux n’a pas dédaigné de nous raconter le plaisir que trouvait Mme Swetchine à voir passer sous ses yeux les jeunes femmes de sa connaissance se rendant aux soirées d’hiver dans leur toilette de bal, et il a indiqué d’un trait délicat combien de fois cette indulgence pour les plaisirs permis avait préparé la voie à de plus sérieuses confidences. Peut-être, pour qu’un tel mélange fût possible sans causer trop de surprise, fallait-il une société comme la nôtre, libre dans ses mœurs, exempte à la fois de règles et de conventions ; affranchie du respect humain dans le bon comme dans le mauvais sens, et laissant faire à chacun tout, même le bien, à sa guise et comme il lui plaît. La société d’autrefois, plus réglée, mais aussi plus guindée, imposant ses étiquettes en même temps que ses principes, ayant fait un code des devoirs du monde aussi bien que de ceux de la piété, aurait donné, j’imagine, à une femme de la condition de Mme Swetchine le choix entre la cour et le couvent. Libre de la disposition de son temps et de sa demeure, Mme Swetchine avait fait deux parts de l’un et de l’autre. Le matin appartenait aux infortunes qui cherchent le silence ; l’après-midi et le soir étaient plus accessibles au bruit du dehors. Derrière l’appartement élégant qui attendait les visiteurs s’ouvrait la porte de sa chère chapelle, ornée par elle des joyaux et des pierreries que depuis sa jeunesse