Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/929

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

enfin portée à toute sa puissance. Après tout, dit-on, le monde mérite quelques ménagemens, et quand on s’y montre, c’est à de certaines conditions… Ce qui est vrai pour les vieux l’est bien davantage pour les vieilles. C’est à elles surtout, même quand elles sont ce qu’elles doivent être, qu’on ne sait gré de rien. La vieille femme, selon le monde, est quelque chose qui n’a pas même, comme les vieillards, un nom dans le style élevé, et ceux qui prétendent l’honorer doivent éviter de la nommer et recourir à une périphrase. La pauvre vieille femme est un être qui n’a vraiment aucune place au soleil ; au foyer domestique, son droit est précaire et contesté. Hors de la vie réelle, elle n’est pas mieux partagée. Sauf quelques rares exceptions, elle est exclue des créations de l’artiste et du poète. Son idée ne se présente presque jamais au moraliste, qui la laisse achever sa vie comme elle peut. »


Suivent quelques lignes mordantes, preuve singulière de l’indomptable indépendance de ce rare esprit : ce sont des traits de satire qui vont tomber, non dans le sanctuaire, Dieu merci, mais tout à côté, dans la sacristie.


« Plus d’un prêtre même, ajoute Mme Swetchine, partant d’un point de vue naturel, ne voit trop habituellement dans les vieillards que des gens qui finissent : la chrysalide leur fait oublier le papillon. Qui se soucie des vieilles gens du moment où leur vie n’a point de scandale ? Qui est-ce qui admet le progrès pour leur vertu ? Qui vient les aider dans les voies spirituelles ? — Avec les hommes, même âgés, on compte encore : on s’honore d’une conquête, quand cette conquête est un homme ; on veille à sa conservation. Il en est tout autrement pour les femmes, dont le partage et les petitesses. donnent sans doute des armes contre elles. N’est-on pas sûr de les tenir ? Qui donc ne se relâche ou ne se refroidit par la sécurité ? Oui, souvent le prêtre lui-même, dévoué à la faiblesse et à l’infirmité, le prêtre, cet homme de tout le monde, passe outre ou rebrousse chemin devant la vieille femme. Il est le bras, l’intelligence de la jeunesse pour lutter avec elle et la soutenir dans ses combats ; l’âge mûr a ses sympathies et ses vœux, comme une force qui règne et qui gouverne. Il a du zèle pour l’enfance, des encouragemens pour l’adulte, du respect pour le vieillard : pour la vieille femme a-t-il autre chose que la négligence ou l’abandon ? Et pourvu qu’elle suive un petit train honnête, il se tient pour assuré de son salut, comme de la santé de ces indifférons qui se portent toujours bien. »


Assurément Balzac et Thackeray n’eussent point dédaigné ces traits pénétrans pour peindre un de leurs types favoris, celui de la coquette sur le retour, devenue dévote par pis aller, et qui, faute de mieux, veut être courtisée par son directeur ; mais tournez seulement la page : derrière cette face décolorée de la vieillesse que sa plume mordante décrit si bien, Mme Swetchine en aperçoit une autre tout illuminée des feux d’une nouvelle aurore, et pour la peindre son style s’anime d’un éclat inaccoutumé. Si la vieillesse en effet est pour la Vanité le lent adieu d’un monde qui fuit, pour le chrétien elle annonce la bienvenue d’une autre vie qui s’avance. Suivant