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Elle avait été difficile à élever. Son père pouvait, en certains cas, exercer quelque influence sur ses volontés ; mais les contredire ou les dominer, il n’y songeait même pas. La vieille Sophy, pauvre négresse née dans le manoir, d’une mère esclave, l’ayant étudiée à fond, par pur instinct, dès son âge le plus tendre, la connaissait mieux que personne, et mieux que personne savait lui faire écouter un conseil. Les autres domestiques avaient peur de leur jeune maîtresse. Chez quelques-uns, cette peur s’était traduite par des accès nerveux. Aucun, une fois sorti de la maison, n’était revenu s’enquérir d’elle. Une de ses caméristes, née en Espagne, et qui lui avait enseigné les danses de son pays, était à peu près la seule pour qui elle eût manifesté quelque goût. De bonne heure Elsie avait attiré l’attention sur elle par la singularité de ses allures et de ses imaginations. Un soir, — elle n’avait pas douze ans, — elle ne se trouva plus. On battit « la Montagne, » et on finit par la découvrir, au point du jour, sous un arbre où elle avait passé la nuit, comme une sauvagesse. Souvent, le jour, elle partait seule, ne souffrant pas qu’on l’accompagnât, et après des heures de vagabondage elle rentrait, rapportant quelque trophée, fleurs, nid d’oiseau, — parfois, même d’autres conquêtes moins inoffensives, — attestant qu’il n’était pas de désert inaccessible pour elle, pas une crainte qui l’arrêtât au seuil des solitudes les plus redoutées. Comme elle avait une fois disparu pendant vingt-quatre heures sans qu’aucunes recherches eussent pu faire deviner où elle était réfugiée, elle passait pour avoir retrouvé une des grottes dites des tories, et l’avoir appropriée aux besoins de ses excursions nocturnes. Des gens charitables avaient pensé à la faire enfermer comme folle, mais le docteur s’y était formellement opposé. Il fallait, disait-il, la laisser à ses penchans, la supporter, veiller sur elle, mais de loin, et sans l’exaspérer par une surveillance maladroite. Je ne dirai pas qu’il aimât Elsie, mais elle l’intéressait au plus haut degré.

Arrivé auprès du manoir, il attacha son équipage à la porte et monta la grande allée du jardin. Tout à coup il s’arrêta court avec une sorte de frémissement. Un bruit singulier venait de frapper son oreille : c’était comme le crépitement d’une crécelle, continu, mais s’élevant et s’abaissant en cadence. Il vint sur la pointe du pied se placer près de la fenêtre d’où le bruit semblait partir.

Elsie était seule dans sa chambre, dansant un de ces fandangos d’origine moresque sur lesquels s’arrêtent avec complaisance, au sortir de la plaza de toros, soit de Madrid, soit de Séville, les ardens regards d’un matador. Devant le spectacle qu’elle offrait, il fallait se taire. La frénésie de la danse l’avait sans doute saisie pendant qu’elle s’habillait, car elle était en simple corset, les bras nus,