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Dick était retourné à Buenos-Ayres. Au sortir de l’école, il rompit avec la famille maternelle, s’en alla vivre aux pampas, se fit des amis chez les Indiens, prit part, dit-on, à quelques-unes de leurs razzias, puis revint près de ses parens, se réconcilia, eut de l’argent, soit par succession, soit de toute autre manière. Enfin il attira l’attention malveillante de certains magistrats, et dut quitter un matin inopinément la ville de Buenos-Ayres, où on l’eût peut-être retenu malgré lui. Bien lui prit ce matin-là d’avoir entre les jambes un cheval comme n’en montèrent jamais les alguazils de la police. Quelques jours après, il prenait des glaces sur l’alameda de Mendoza, et la semaine suivante il s’embarquait à Valparaiso pour New-York, sans autres bagages que son fameux mustang, une malle ou deux, enfin une ceinture assez pesante où, parmi des doublons, étaient cousus un certain nombre de diamans du Brésil. Telle était l’épopée de Dick, très en abrégé, comme on peut croire, car ces huit années qu’il avait passées loin de son oncle et d’Elsie avaient été semées d’aventures fort diverses, et que je ne me chargerais pas de raconter si je les savais.

Dick Venner, en revenant à Rockland, était-il simplement las de sa vie errante, de ses dangereuses escapades et des trop faciles amours qu’il avait rencontrées sur sa route ? Était-il ramené par quelque tendre ressouvenance de l’étrange créature auprès de laquelle il avait si longtemps vécu ? Ou bien encore songeait-il parfois, cet Américain doublé de gaucho, que Dudley Venner avait une des plus belles résidences, un des plus beaux domaines du pays, un mobilier magnifique, une bibliothèque précieuse, une argenterie de souverain, et dès lors nécessairement, en quelque lieu sûr, en quelque bonne et solide banque, une riche collection de dollars ? Personne que lui ne le saurait dire ; mais j’incline à penser que, dans sa détermination de revenir à Rockland, ces considérations hétérogènes ? étaient mêlées à dose à peu près égale. Le repos est bon après la fatigue. Elsie était assez belle pour qu’on la préférât aux plus jolis échantillons de sculpture vivante que les bords du Rio-Mendoza puissent offrir à l’admiration des connaisseurs. Et quant à la richesse de Dudley Venner, elle devait certainement allécher un jeune homme altéré de luxe, et, grâce aux tables de monte, devenu calculateur excellent. Elsie et son père n’envisagèrent pas tout à fait la question sous ce point de vue pratique. Leur intérieur n’était pas le plus gai du monde. Dick y rapportait du mouvement, sinon de la joie, et des histoires de l’autre monde, que rendait acceptables une familiarité de vieille date. Il était au billard de première force, et tenait habilement tête à son oncle, qu’il laissait gagner de temps en temps. Toute son ancienne violence, ses emportemens bruyans, ses cris enragés, avaient fait place à une certaine gravité cavalière. Il modérait