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Le major Fraser, autre agent anglais à Damas, écrit le 20 octobre à lord John Russell que « la présence de Fuad-Pacha à Damas a un peu calmé les alarmes des chrétiens, mais qu’ils continuent cependant à quitter Damas pour Beyrouth, vendant leurs effets de literie, leurs ustensiles de cuisine et tout ce qu’ils possèdent, afin de louer quelque bête de somme pour leur voyage[1]. » « Chaque jour, dit lord Dufferin le 26 octobre 1860, arrivent à Beyrouth de nouveaux détachemens de réfugiés, et M. Brant m’apprend que le matin même du jour qu’il quittait Damas, il sut qu’une personne qui n’avait aucune espèce de ressources avait payé plus cher que lui des mulets de transport, afin de fuir sans retard[2] . » M. Wrench, qui remplace M. Brant, écrit comme lui que l’émigration de Damas à Beyrouth continue[3]. « Faites tout ce que vous pourrez, écrit lord Dufferin à M. Wrench le 29 octobre 1860, pour mettre un terme à la panique absurde qui règne à Damas parmi les chrétiens et pour les décider à rester dans leur ville natale[4]. » Panique absurde, dit lord Dufferin ; il en parle bien à son aise ! Voilà des gens qui ont à grand’peine échappé au massacre de tous leurs compatriotes, qui sont tous les jours menacés et insultés, qui sont sans armes, qui n’ont pour défenseurs officiels que les complices de leurs assassins, et vous les blâmez d’avoir peur ! Vous leur demandez d’avoir du courage et de rester sous le sabre encore dégouttant du sang de leurs parens ! vous vous plaignez qu’ils quittent une ville pleine d’affreux souvenirs et d’affreuses alarmes ! Si vous voulez qu’ils y demeurent, assurez-leur la sécurité : sinon, permettez qu’ils aillent la chercher là où elle est, c’est-à-dire sur la côte, là où il y a un corps de troupes européennes. Ils abandonnent Damas parce qu’ils n’y ont d’autres garans de la paix que les Turcs ; ils vont à Beyrouth parce qu’ils y trouvent leurs seuls défenseurs naturels, les Européens.

Lord Dufferin, après tout, est plus contrarié de l’émigration des chrétiens de Damas qu’il n’en est étonné. Il en comprend les causes. « L’exode de Damas continue, écrit-il le 1er novembre à sir Henri Bulwer. Avant-hier, plus de mille réfugiés sont arrivés à Beyrouth. Si ce flux d’émigration n’est pas arrêté, il ne restera plus à Damas que la dernière lie de la population chrétienne. Une des principales causes de cette fuite universelle est la manière insuffisante dont l’autorité turque pourvoit à la subsistance de ces malheureux[5]. »

  1. Recueil anglais, p. 187, n° 173.
  2. Ibid., p. 195, n° 75.
  3. Ibid., p. 199, n° 176.
  4. Ibid., p. 203, n° 182.
  5. Ibid., p. 204, n° 182.