Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 34.djvu/1011

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avec une ingénuité verbeuse qui dissimule à peine l’absence de toute idée, qui se prend dans tous les lieux-communs ou dans tous les pièges. M. Negrete, le ministre de la justice, traite gaiement les affaires de son département. Le ministre des travaux publics, le marquis de Corvera, trouble à chaque instant ses collègues par la naïveté de ses aveux dans les chambres, et le ministère n’a pas mieux réussi depuis trois ans à se créer un parti qu’à se donner une politique. Le parti ministériel est un assemblage d’hommes de toutes les opinions, qui votent exactement au jour voulu, et qui sont dans les emplois ou qui aspirent à y entrer. Passez-moi une petite histoire irrévérencieuse. Il y a quelque temps, un de nos orateurs, voulant définir le parti ministériel, racontait qu’un jour dans ses voyages, étant à Londres, il avait vu ces mots sur un écriteau : l’heureuse famille! Il voulut savoir ce que c’était que cette famille qui affichait une telle prétention, et il entra. Le maitre lui montra une cage renfermant les ennemis les plus acharnés dans l’ordre zoologique, qui, grâce à lui, vivaient pourtant dans la plus parfaite intelligence. Tout le secret du maître consistait à ne laisser jamais la faim atteindre un de ses élèves. C’était là l’heureuse famille... Telle est aujourd’hui la situation de l’union libérale vis-à-vis de son chef, ajoutait l’orateur. Le mot est resté. Je ne vous dis pas de croire qu’il soit absolument juste, car enfin il faut aussi tenir compte du bien; mais il vous donne une idée de nos polémiques... »

Les traits sont un peu vifs en effet, comme on nous le dit, et ne sont pas d’un ami. Il reste toujours que tout ne va pas le mieux du monde au-delà des Pyrénées, et que l’Espagne s’engage de plus en plus dans une de ces situations qui conduisent à une crise, si elles ne sont pas renouvelées ou redressées à propos par l’intelligence d’un chef habile. Un des faits les plus curieux assurément dans la politique actuelle de la Péninsule, c’est cette insurrection qui éclatait récemment à Loja, en Andalousie. Par elle-même, elle n’avait rien de bien sérieux, on peut le dire : elle n’était ni organisée, ni suffisamment armée; elle n’avait ni mot d’ordre ni but bien précis. Les partis actifs de la Péninsule semblent être restés étrangers à ce mouvement, dont le chef principal, Rafaël Perez Alamo, était un maréchal-ferrant de Loja. L’insurrection n’a même pas livré de combat, et on ne voit pas trop pourquoi les troupes envoyées contre elle ne sont pas entrées immédiatement dans la ville, un moment occupée, puis bientôt désertée par les insurgés. En lui-même, ce mouvement étouffé dans son germe n’était donc pas sérieux; il a cependant une certaine gravité par le caractère nouveau qu’il révèle. Jusqu’ici en effet, presque toutes les insurrections étaient militaires. Les révolutions qui se sont succédé en Espagne n’avaient point un autre caractère et une autre origine que le soulèvement d’une partie de l’armée entraînée par un chef. Pour la première fois peut-être on a vu une insurrection ayant en quelque sorte une couleur civile, un chef d’une classe inférieure se mettant à la tête de paysans soulevés au nombre de six