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ou huit mille hommes. Que se proposaient ces insurgés en prenant les armes? qu’allaient-ils faire à Loja? Il serait difficile de le dire; le savaient-ils eux-mêmes? Ici ont commencé les commentaires et les explications. On a voulu y voir soit une intrigue du parti carliste, soit une inspiration du protestantisme et de la Société biblique, qui se sont glissés en Andalousie, soit enfin et mieux encore l’action du socialisme. Il se peut en effet qu’il y ait une certaine couleur socialiste; seulement c’est un socialisme qui s’explique par l’état économique de ces contrées. Il faut bien se souvenir que certaines parties de la Péninsule, et l’Andalousie notamment, sont divisées en immenses propriétés appartenant à quelques familles anciennes qui pour la plupart vivent en bonne harmonie avec les paysans attachés à la culture des terres; mais l’immense étendue de ces domaines empêche que le maître puisse avoir l’œil partout. Les abus s’introduisent, les régisseurs manquent d’habileté. Il n’est pas rare de voir de magnifiques vegas en friche servant à nourrir des troupeaux, lorsque l’homme trouve à peine de quoi élever misérablement sa famille. Les vegas de Cordoue, du Bas-Guadalquivir, de Grenade, de Malaga, sont dans cette situation; là où l’agriculture pourrait être florissante paissent de nombreux troupeaux de taureaux de course. Dans de pareilles conditions, il est souvent arrivé que des masses faméliques s’ameutaient et se partageaient des terres dont le propriétaire connaissait à peine l’existence. Ces mouvemens, qui se produisaient d’habitude à la suite de troubles politiques ou sous l’influence d’une administration mauvaise, finissaient le plus souvent par s’arranger entre maîtres et paysans. Le mouvement récent de Loja n’aurait donc sous ce rapport rien d’essentiellement nouveau. Ce qui fait toutefois qu’il est plus grave, c’est qu’en procédant d’une situation économique déjà ancienne, il se complique bien réellement de quelques idées politiques très peu définies, que les insurgés n’ont pas même su énoncer, mais qu’un état vague de malaise a pu contribuer à développer. Ce mouvement n’est donc rien, si on ne le considère que dans ce qu’il a été : il peut être sérieux et menaçant comme symptôme, comme signe de mécontentement. Quoi qu’il en soit, la répression a commencé : quelques-uns des chefs ont péri par le garrotte; d’autres, en plus grand nombre, sont envoyés aux présides. Le gouvernement a été pris un peu à l’improviste; il ne s’attendait pas à cette explosion, et il met d’autant plus de rigueur dans ses poursuites qu’il s’est laissé surprendre. Chose plus grave, cédant un peu à l’effroi de ce fantôme de socialisme, le ministère se laisse aller volontiers à ce courant de réaction que produit une crainte exagérée. Depuis quelques jours, il traite la presse de Madrid comme les insurgés de Loja. Tous les journaux d’opposition, modérés, progressistes ou démocratiques, sont assaillis de poursuites et d’amendes. Quelques-uns sont obligés de cesser de paraître. Le ministère peut se créer ainsi une sécurité momentanée; il ne voit pas qu’il affermirait bien plus efficacement son existence et son pouvoir par une fermeté libérale et vigilante, par une